Migrations irrégulières : l’europe, une obsession pour les jeunes guinéens

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Des milliers de migrants clandestins affluent en Europe chaque année, en provenance d’Afrique et d’Asie. Malgré les milliers de morts et disparus (2 000 morts depuis janvier 2019, selon l’ONU) sur les routes du désert et de la Méditerranée, les témoignages des survivants et les rapatriements (volontaires ou non), d’autres guinéens sont encore prêts à partir. La pauvreté dont évoquent les migrants est-elle justifiée ?

Ces migrants disent tous ‘’fuir la pauvreté et les violences’’. La Guinée est devenue tristement célèbre parmi les pays pourvoyeurs de demandeurs d’asile. Le taux de chômage frôle la barre des 35%, et même ceux qui trouvent un emploi sont tentés à l’aventure, en raison de la faible rémunération : le SMIG, (Salaire minimum interprofessionnel garantie est de 440 000 GNF), environ 40 euros).

A l’image de cet étudiant de 24 ans, licencié en Droit depuis 2016, que nous surnommons ID, plusieurs jeunes guinéens diplômés sans emploi veulent coûte que coûte en Europe.

 « Je suis l’aîné d’une famille de 8 enfants. Mon papa est un pauvre enseignant. Depuis 2017, je cherche du travail, mais je n’ai même pas obtenu un stage. Il y a beaucoup de dépenses à faire en famille, il n’y a personne pour les gérer. Je dois faire quelque chose. J’ai donc réuni une somme me permettant d’atteindre l’Algérie, parait qu’on peut y trouver du travail. Si c’est vrai, je vais profiter avant de continuer sur l’Europe » a confié ce jeune, qui prend pour  un exemple un de ses camarades d’enfance  ayant réussi à régulariser sa situation en Italie.

Pauvreté, chômage

Le 6 juin 2019, l’Association internationale de développement (IDA), a publié des chiffres sur la pauvreté. Des 700 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, 400 millions sont en Afrique subsaharienne, dit-elle.

La Guinée, avec 12 millions d’habitants est à 55% pauvre et se classe 175è sur 178, selon l’Indice de développement humain 2018.

Le 27 mai passé, Gabriel Curtis, ministre guinéen des Investissements et du Partenariat Public-Privé a indiqué qu’entre 2014 et 2019, 114 000 emplois directs et indirects ont été créés. Sauf qu’en Guinée, selon l’AGUIPE, Agence guinéenne de promotion de l’emploi, 250 000 demandeurs d’emplois arrivent sur le marché chaque année parmi lesquels 55% des Licenciés et 69% de ceux qui ont le Master et plus ne trouvent pas d’emplois.

L’écart est abyssal. Le peu de richesse créée est mal répartie. Le taux de croissance a ralenti, passant de 9,9% en 2017 à 5,8% en 2018, elle a rebondi actuellement à 6%, portée principalement par le secteur minier, (10 milliards de dollars d’investissent entre 2011 et 2018).

En dépit de ces investissements, la croissance du secteur minier s’est essoufflée passant de 52,3% en 2017 à 6,7% en 2018, selon la Banque mondiale.

Une enquête de State View International (SVI) datant de 2017 a révélé que les Guinéens s’appauvrissent du jour au jour.

« La plupart des indicateurs sont au vert. Mais le citoyen lambda ne bénéficie pas des retombées. Deux Guinéens sur trois qualifient leurs conditions de vie de très mauvaises. Les jeunes n’arrivent pas à trouver de l’emploi. Femmes, jeunes et enfants sont les plus touchés par la pauvreté », note Aliou Barry, directeur de State View International, représentant d’Afro-baromètre en Guinée.

Quant à la fourniture de l’électricité, 70% des ménages guinéens ne sont pas raccordés au réseau électrique, ajoute M. Barry. La Guinée, ‘’château d’eau de l’Afrique de l’Ouest’’ dispose de seulement 28% de taux de couverture en électricité dont 11% de branchements clandestins, 3% d’électrification rurale.

Corruption

Sur les causes des départs, les migrants évoquent la pauvreté, une gouvernance peu vertueuse, avec en tête la corruption. Le Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, a reconnu, devant le parlement en juin 2018, une perte annuelle de 600 milliards de francs guinéens (60 millions d’euros) due aux pots-de-vin. Il a promis de lutter contre la corruption. Deux cadres ont été condamnés pour détournement de deniers publics mais les résultats sont comme une goutte d’eau dans l’océan, la corruption continue.

En mai dernier, le FMI a interpellé la Guinée sur la destination de 90 millions de dollars que la société de téléphonie Orange-Guinée a payés pour la licence d’exploitation de la 4G, révélée par la presse.

Pour rappel, en septembre 2018, 21 millions de dollars ont disparu de la Banque centrale. En août 2014, 4 milliards de F CFA de la Banque centrale de Guinée ont été interceptés à l’aéroport de Dakar. En juin 2012, 13 autres milliards de francs guinéens avaient disparu à la Banque centrale, toutes des affaires révélées par la presse.

La Guinée a obtenu 45,9/100 points en matière de gouvernance globale, soit en dessous de la moyenne africaine (49,9), selon l’Indice Mo Ibrahim 2018, et est classée 37è/54. La même année, la Guinée a été classée 138è sur 180 pays par l’indice de perception de la corruption. Si la Guinée a fait des progrès dans le classement Doing Business 2019, 152è sur 190, allant jusqu’à être classé parmi les 3 pays africains les plus réformateurs, il reste encore du chemin.

Instabilité politique

A cette gouvernance non vertueuse s’ajoute une instabilité politique et sociale constante. Depuis 2011, les revendications liées à l’organisation des élections législatives et locales ainsi que les grèves des différents syndicats ont occasionné des morts et des dégâts matériels importants.

Depuis l’arrivée au pouvoir du Président Alpha Condé en 2010, au moins 100 personnes (civiles et militaires) ont été tuées lors des manifestations. En avril dernier, Human Right Watch a demandé à la Guinée d’enquêter sur les meurtres commis lors des manifestations.

Amnesty International a également documenté plusieurs cas de violation des droits humains lors des manifestations en 2018.

Selon les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale, la Guinée a fait d’importants progrès depuis 2011 en matière de stabilité politique, mais se classe toujours dans le dernier décile en matière d’Etat de droit, avec à l’appui  des arrestations d’opposants, d’artistes, de défenseurs des droits humains et de journalistes.

Depuis janvier 2019, au moins 11 journalistes ont eu maille à partir avec la justice, avec 5 condamnations. Le dernier en date est Mohamed Bangoura, condamné à 3 millions d’amende pour offense au chef de l’Etat.

Instabilité sociale

Selon le ‘’Document de stratégie pays 2018-2022 ‘’élaboré par la Banque Africaine de Développement, le contexte social guinéen n’a pas évolué, classée dans le dernier quintile en termes de qualité de vie.

Le niveau de pauvreté reste élevé avec une incidence qui est passée de 41,9% en 2002 à 53,7% en 2007 puis à 55,2% en 2012. Le secteur informel occupe 95,2% de la population. La majorité des emplois informels (77,5%) sont générés dans le développement rural.

Selon les résultats du recensement général de la population et de l’habitation de 2014, le chômage affecte 34,7% des diplômés universitaires et 27,7% des diplômés de l’enseignement technique.

En ce qui concerne le genre, en mars 2018, les femmes ne représentaient que 22% au parlement, 14% des chefs de départements ministériels, 2% des maires et 26% des fonctionnaires. Le mariage précoce (12 à 14 ans) affecte les filles quel que soit leur milieu de résidence.

Au niveau de l’éducation, le taux brut de scolarisation du primaire est passé de 81% en 2012 à 88,6% en 2017. Le taux d’achèvement du cycle primaire a chuté de 59,4% en 2016 à 52,2% en 2017.

L’accès à la santé reste faible surtout en milieu rural. Même si le taux de mortalité infantile a reculé, passant de 67‰ en 2012 à 44‰ en 2016.

L’eau reste une denrée rare. Seule, près de la moitié des 3 millions d’habitants à Conakry ont de l’eau au robinet (3 fois par semaine). Le peu d’investissement est détourné.

Parlant de  l’assainissement, Conakry, qui ne dispose pas de décharge moderne, regorge plus de 300 000 m3 d’ordure, selon le ministre du tout nouveau département de l’Hydraulique et de l’assainissement, Papa Koly Kourouma.

La seule décharge qui existe est un dépotoir en plein air et se trouve en milieu urbain. En août 2017, un éboulement de ladite décharge sur deux maisons a tué 9 personnes et causé des dégâts matériels importants.

Pourvoyeur de migrants 

Avec ce tableau, difficile de trouver espoir, se disent des jeunes, pour qui, partir est devenu la seule solution. Si la Guinée n’est pas en proie à une guerre ouverte, elle figure tout de même dans le top 10 des pays pourvoyeurs de demandeurs d’asile en Europe.

Pour 2018, selon l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, les principaux pays d’origine des demandeurs d’asile sont l’Afghanistan (10 221), l’Albanie (8 261 demandes), la Géorgie (6 717), la Guinée (6 621) et la Côte d’Ivoire (5 256). La même année en Belgique, la Guinée était également dans le Top 5 des demandeurs d’asile derrière la Syrie, la Palestine, l’Afghanistan et l’Irak, selon l’Office belge des étrangers. Sur l’échelle européenne, en 2018, il y avait 13 295 Guinéens qui demandaient l’asile, à la 13è place et 3è en Afrique, derrière le Nigeria et l’Erythrée.

Pour limiter la migration, le gouvernement et ses partenaires multiplient les initiatives, à l’image du projet OMEGA, (Opportunité pour un meilleur avenir en Guinée et en Afrique), une alternative à la migration.

« C’est un projet de sensibilisation et de formation des jeunes pour les inviter à rester, puis leurs présenter les opportunités d’emplois à tous les migrants diplômés (Environs 11% des migrants retournés volontaires ont un diplôme post-bac). Ou encore, les informez, en collaboration avec les ambassades, sur les bourses disponibles dans leurs pays étrangers pour éviter d’être arnaqué » a expliqué Mohamed Doumbouya, chargé du projet OMEGA à OIM-Guinée.

Au regard donc de ce qui se trame sur le plan politique, avec l’idée des partisans du Président Alpha Condé de contourner l’actuelle Constitution, dans le but d’octroyer ce dernier d’un autre mandat, la situation risque de s’empirer lorsqu’on sait que les libertés publiques sont suspendues (les manifestations sont interdites) par le ministre de l’Administration du territoire, alors que l’article 10 de la Constitution consacre l’exercice des libertés.

La montée des nationalistes (anti-migrants) en Europe et les rapatriements pourraient-ils suffire à dissuader les candidats à la migration ? Rien n’est sûr.

Pour freiner les migrations irrégulières, d’aucuns pensent qu’à défaut d’assouplir les politiques migratoires, l’Europe doit soutenir le processus démocratique en Afrique, financer les initiatives des jeunes ou encore aider à la réintégration des retournés volontaires et accroître les investissements sur le continent.

Hafia Diallo

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