L’expatriation du soin des guinéens « aisés », l’enlisement culturel de cet autre défaut du système de santé.

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La défaillance du système de santé guinéen a été amplement étalée au cours des quatre dernières années avec l’épidémie à virus Ebola. En rappel, avec cette épidémie, la Guinée a traversé la pire des crises sanitaires de son histoire. En effet, entre décembre 2013 (son apparition en Guinée forestière) et décembre 2015, cette fièvre hémorragique a tué environ 2536 personnes sur 3805 cas confirmés (selon les estimations officielles). Elle a affecté 26 préfectures, notamment les zones propices à la production agricole et les cinq communes de la capitale Conakry.

Endémiques en Guinée (la plupart) et avec une potentialité épidémiologique élevée (pour certaines), les maladies infectieuses et parasitaires représentent plus de 50% de la morbi-mortalité hospitalière en Guinée. Entre 2000 et 2003, elles étaient associées à environ 42,8% des hospitalisations et plus de 50% des décès au Service de Médecine B à l’Hôpital National Ignace Deen (Référence : KOIVOGUI Akoï. Profil et évolution de la morbidité et de la mortalité en Médecine Générale B Ignace Deen. Etude rétrospective  de janvier 2000 à décembre 2003. Thèse de Doctorat en Médecine, BU-UGANC, 2004). Certes à cause de ce poids très considérable dans la morbi-mortalité, les conséquences de toute défaillance dans le contrôle des maladies infectieuses et parasitaires sont d’installation rapide et nécessitent une solution rapide. Cependant, la faiblesse du système de santé guinéen ne réside pas seulement dans son incapacité à répondre facilement et rapidement à une crise épidémiologique comme nous l’avons vu avec le choléra en 1994 et l’épidémie à virus Ebola en 2013. L’un des défis majeurs des nouveaux gouvernements semble aussi être la lutte contre l’inégale distribution des maigres ressources de soins disponibles.

En effet, un article récemment publié dans « The International Journal of Health Planning and Management » (http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/hpm.2507/abstract  et rédigé par des guinéens, auquel j’ai été associé (je remercie d’ailleurs les collaborateurs qui m’ont associé à cette analyse), révèle l’existence d’un budget sectoriel alloué aux Evacuations Sanitaires Internationales. Vraisemblablement, ces évacuations ne concernent qu’un nombre restreint de commis de l’Etat avec leurs familles. L’article révèle que 2445 évacuations sanitaires ont été financées entre 2001 et 2015, par le Ministère en charge de la Santé publique à raison de  34.251$ US par personne évacuée. Selon les auteurs, depuis 1992, une ligne d’assistance médicale a toujours existé dans les budgets sectoriels pour financer les évacuations sanitaires internationales. La question que l’on pourrait se poser est : Qui est évacué par l’état?

La réponse à cette question est donnée par les auteurs qui admettent que malgré l’existence d’un cadre réglementaire strict qui attribue le budget et son exécution au Ministère en charge de la Santé Publique, l’émergence et la pérennisation de systèmes parallèles dans d’autres départements (comme le ministère de la défense et la Caisse Nationale de Sécurité Sociale), avec des procédures différentes de celle du Ministère en charge de la Santé Publique, sont notoires. En effet, 80,0% des 137 Evacuations Sanitaires Internationales sponsorisées par la CNSS entre 2011 et 2015, concernaient ses travailleurs ou ceux du Ministère de tutelle et leurs familles. Selon les estimations (INS. Recensement Général et de la Population et de l’Habitation : RGPH3. In. Conakry: Institut National de la Statistique ; 2015: 15), la Guinée comptait 12 500 000 habitants en 2016. L’Etat a l’obligation de garantir l’accès aux soins de santé pour chacun des 12 500 000 habitants avec les seuls critères de citoyenneté et de résidence. Il parait donc très judicieux qu’un audit se prononce sur la performance d’un tel système d’offre de soins restreint à une petite proportion de la population. Pour tout guinéen non commis de l’Etat, ou n’ayant pas un proche parent commis de l’Etat, la chance de bénéficier de ce système de soins pourrait être quasiment nulle. Bref, il se dégage de cet article un concept de guinéen « aisé » qui bénéficierait des soins à l’extérieur à la charge de l’Etat.

Si les auteurs admettent que les nouvelles perspectives de prise en charge des fonctionnaires de l’état pourraient dans leur application, aboutir éventuellement, à une correction efficace de cette défaillance structurelle, ils ne se sont pas prononcés sur les facteurs latents qui pérennisent un tel système dont les racines pourraient être à la fois morale et culturelle.

Morale ?

Oui en effet, les gouvernements se succèdent et se ressemblent en ce qui concerne l’offre de soin en Guinée. Sachant les potentialités économiques de la Guinée, aucune équation logique ne pourrait expliquer le manque de structures de soins, dans un état qui dépense officiellement 6 millions $ par an pour que certains de ses cadres aient accès à un soin à l’extérieur. Ce choix de restreindre l’offre de soin à l’extérieur aux seuls commis de l’Etat et leurs familles, est d’ordre moral car le reste de la population (> 99%) court un grand risque de mourir de toute maladie par manque de moyens standards de diagnostic paraclinique et/ou par défaut de formation du personnel soignant.

Culturel ?

Oui en effet, selon les auteurs de l’article, avant la budgétisation des évacuations sanitaires, le pays a connu de 1958 à 1984 une période des bourses sanitaires. Pour la prise en charge des commis de l’Etat, le gouvernement négociait des bourses auprès des pays socialistes de l’époque (Union Soviétique, Allemagne Démocratique, Cuba, Hongrie…). Avec le déficit de fonctionnaires causé par le départ de l’administration coloniale, cette volonté du premier régime de prioriser les commis de l’Etat dans l’offre de soin spécialisé, a fini par créer une culture du « commis prioritaire pour les soins ».

Ces racines culturelles et morales sont des obstacles majeurs dans l’application des recommandations de la politique nationale de santé publique. A l’occasion, elles placent les différents décideurs et commis de l’Etat dans ce dilemme :

Faut-il mobiliser le financement de ses propres soins à l’extérieur ou le financement des équipements d’une structure hospitalière ?

KOÏVOGUI Akoï

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