L’etat sans constitution ?  (intégralité de la contribution de jean paul kotèmbèdouno)

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L a publication, samedi 30 mai 2020, de la contribution, en partie, du juriste guinéen Jean Paul Kotèmbèdouno, attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’école de droit de la Sorbonne (Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne), a fait l’objet d’interprétations diverses de la part des internautes suivant qu’ils soient de l’un ou de l’autre des camps en lice au débat relatif à la « falsification » de la Constitution publiée au Journal officiel de la république.

C’est pour parer à toutes les arguties juridiques, en cours dans la cité, que la rédaction de www.guineeactuelle.com s’est, bien entendue, proposée pour publier la version complète de cette contribution qui essentiellement, comporte trois articulations fondamentales.

« L’évolution constitutionnelle de la Guinée était, avant le référendum du 22 mars 2020, marquée par quatre constitutions (constitutions du 10 novembre 1958, du 14 mai 1982, du 23 décembre 1990 et du 7 mai 2010). Ces quatre peuvent être intégrées dans deux « cycles constitutionnels ».

Tandis que le premier est parti de la Constitution de 1958 pour prendre fin en 1990, avec la Constitution de 1982, le second est parti de la Constitution de 1990, inscrite dans le contexte de ce qui fut qualifié de « transition démocratique », à nos jours en passant par la Constitution de 2010 qui était jusque-là en vigueur. Le changement très controversé de cette Constitution du 7 mai 2010 a essentiellement reposé sur le moyen inspiré de son illégitimité ; illégitimité fondée sur deux considérations. La première tenait à son adoption par un organe transitoire (le Conseil national de la transition) organe dont les membres n’avaient pas été élus (quoiqu’ils n’aient pas été contestés, sinon peu). Elle n’avait ainsi pas été soumise au peuple pour approbation. La seconde, conséquence de la première, venait de ce qu’elle a été promulguée par une autorité politique illégitime (chef putschiste), dans un contexte transitoire. » a-t-il entamé.

Dans le libellé du texte intégral, l’attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’école de droit de la Sorbonne a entendu, dans la première partie, déterminé toute l’étendue de la falsification.

 « La falsification de vingt-et-une dispositions du projet de Constitution approuvé par le peuple de Guinée s’est traduite par une diversité de situations de portée asymétrique. Dans certains cas, la falsification a été dictée par un objectif d’encadrement ex post des conditions d’exercice des pouvoirs de police… Sur d’autres aspects, la falsification a probablement été dictée par un objectif de précision conceptuelle… De même, d’autres falsifications sont marquées par un objectif de renforcement de l’institution gouvernementale ou lato sensu, exécutive… En outre, il existe des dispositions dont la falsification représente une mutation significativement attentatoire à l’exercice de droits et libertés prescrits par le projet approuvé… Il existe des cas atypiques dans lesquels la falsification a entraîné un défaut de coïncidence des dispositions des deux textes respectifs… » a-t-il expliqué.

Plus loin, il a, dans une deuxième partie, tenu à identifier tous les cas de confluence d’implications, conséquence des falsifications incriminées.

« La falsification des dispositions du projet de constitution approuvé le 22 mars par voie référendaire a une diversité d’implications. Tout d’abord, le texte constitutionnel ayant vocation à devenir la Constitution de l’Etat tire sa légitimité de sa soumission et de son approbation par le peuple qui est titulaire de souveraineté qu’il exerce en ce sens directement comme un pouvoir constituant originaire… La question subséquente qu’on est ainsi appelé à se poser est celle de l’incidence de la falsification d’un texte approuvé (par référendum) sur sa validité juridique. Si le texte tire substantiellement sa légitimité et même sa validité juridique – substantiellement en considérant que les autres formalités procédurales subséquentes sont d’une nature non-substantielle – de son approbation par le peuple, le texte comportant des dispositions non-identiques à celles du texte approuvé est absolument sans valeur juridique…», avant d’ajouter que cette invalidité juridique s’enchevêtre à des conséquences les unes plus complexes que les autres.

« La conclusion menant à l’invalidité juridique du texte qualifié de texte à vocation constitutionnelle publié entraîne deux conséquences. La première tient à la branche des citoyens guinéens qui reconnaissent le processus référendaire ainsi qu’en conséquence, le texte approuvé. La seconde tient inversement à ceux qui ne reconnaissent pas ce processus et, ce qui en constitue le corolaire, le texte approuvé… Ainsi, pour la première branche des citoyens (ceux qui reconnaissent ce processus), l’invalidité juridique de la Constitution publiée a pour conséquence de considérer que l’Etat guinéen se retrouve dans une situation de vide constitutionnel. Il est dans une situation similaire à celle d’un Etat sans constitution pour deux raisons. La première tient au fait que pour cette catégorie de Guinéens, la Constitution du 7 mai 2010 n’existe plus ; elle a été abrogée. La seconde repose sur le fait que l’invalidité juridique de la Constitution publiée est indépendante du statut de constitution abrogée de celle du 7 mai 2010. Autrement dit, le constat de l’invalidité juridique de la Constitution publiée n’entraîne pas ni ipso facto encore moins ipso jure le rétablissement de la Constitution abrogée. En définitive, pour cette branche de Guinéens, le pays est dans l’impasse du vide constitutionnel… S’agissant, en revanche, de la branche de Guinéens qui ne reconnaissent ni ce processus encore moins le texte qui en a résulté, la conséquence est différente. Pour cette branche, il n’y a pas de vide constitutionnel pour une raison fondamentale mais simple : la Constitution du 7 mai 2010 est encore en vigueur. Etant ainsi entendu que celle-ci est encore en vigueur, le processus référendaire et le texte qui en était l’objet ne leur sont pas opposables…» argumente le juriste.

« S’agissant des conséquences pénales de la falsification… Convient-il de relever en ce sens que la falsification en cause est constitutive d’une infraction pénale qualifiée d’atteinte à la confiance publique. Ainsi, suivant l’article 585 du Code pénal guinéen traitant du faux relevant des atteintes à la confiance publique, «  Constitue un faux, toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques »… Dans le même sens, au titre de l’article 586 afférent au faux en écritures publiques ou authentiques, « Tout fonctionnaire ou officier public qui, dans l’exercice de ses fonctions, commet ou tente de commettre un faux par l’un des modes énumérés à l’article précédent, est puni d’un emprisonnement de 3 à 10 ans et d’une amende de 1.000.000 à 10.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines seulement ». (Code pénal de la République de Guinée, 26 octobre 2016) », a-t-il poursuivi.

Du reste, ce jeune enseignant chercheur est, in fine, après toute cette démonstration digne du statut des juristes les plus qualifiés, arrivé à la conclusion que la Guinée serait en passe de sombrer dans une situation cyclique de répétition de changements de constitutions reposant sur un motif identique : l’illégitimité.

Ci-dessous l’intégralité de la contribution accompagnée d’un tableau synoptique (troisième partie) qui dresse les vingt et un cas de falsifications de dispositions identifiées sur la base d’une lecture conjointe intégrale des deux textes :Intégralité de la Contribution

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