Les ports miniers, le rio nuñez, et le tragique destin d’un patrimoine naturel et identitaire du kakandé (boke)

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A u début de la légende du Rio Nuñez….Le Rio Nuñez, un nom qui résonne mystérieusement sur toute la trame historique du Kakandé. Un fleuve qui serpente sur 80 km toutes les basses terres au Nord de BOKE.

Né de la jonction du Tinguilinta et du Bourounao, les deux s’embrassent à Baralandé pour laisser émerger ce long fleuve- bras de mer, curieusement appelé Rio Nuñez (rivière de Nuñez) par les premiers portugais explorateurs de la zone.

En 1444, l’explorateur Nûno Trûstao y avait péri avec 20 de ses hommes, mortellement fléchés par des guerriers. Au 19e siècle, la France comprit l’enjeu stratégique de la prise de contrôle du fleuve pour sauvegarder ses intérêts commerciaux dans la région de Boké : 3 millions de tonnes d’arachide exportés à partir du fleuve par 21 navires en 1865. Le territoire est d’ailleurs envisagé comme future capitale de la nouvelle colonie des « Rivières du Sud » en construction, bien avant la découverte de la presqu’île de Tombo « Kaloum » en 1875.

Les villages-capitales, marqueurs identitaires des peuples du Kakandé s’abreuvent à proximité du fleuve, tout le long des 80 km entre l’embouchure à Kamsar et Baralandé, le point de rencontre des affluents, nous retrouvons de bout en bout le village Baga de Kamsar, les célèbres villages Nalous : Kanfarande, Caniope, Sogoboli et l’éternel Wakiriya des Landouma.

Une source de vie 

Le Rio Nuñez, plus qu’un récit historique, c’est un patrimoine naturel de grande biodiversité et des sites d’une grande valeur écologique. Les forêts de mangroves à perte de vue, profondément menacés par les activités minières et la pression démographique. Une étude du Cabinet Dobbin estime à 29.000 tonnes la production annuelle artisanale de poisson dans la zone. Au Sud et au Nord de l’estuaire maritime deux (2) sites Ramsar sont classées par une convention des Nations Unies parmi les plus humides au monde. A la pointe extrême du fleuve, l’ancien port négrier du fortin (actuel musée de Boké) tient débout du haut de ses 156 ans.

La guerre des ports miniers

Les chenilles ! Elles sont là. Huit (8) ports miniers rongent au quotidien ce potentiel naturel : Le port SMB de Dapilon, le port SMB de Katougouma, le Port Rusal de Taressa, le port GAC de Kamsar, le port CBG de Kamsar, et le port en construction d’Ashapura. Deux (2) autres ports sont prévus à Bogoraya et Ségheriré.

Tous majestueusement étalés sur les rives du Rio Nuñez. La cadence de transbordement de la bauxite est effrayante. Plus de 23 barges de 8000 tonnes chacun tirés par 28 bateaux remorqueurs investissent au quotidien le fleuve pour le seul port de Katougouma, en direction de la haute mer où attendent de gros minéraliers, des Cape Size de 210.000 tonnes. Pollution du fleuve, destruction des filets de pêche artisanale, déversement des huiles dans le fleuve, destruction de la mangrove, exode des pécheurs, disparition de la faune aquatique, déstructuration d’une économie endogène dominée par les activités primaires, effacement d’un patrimoine historique et culturel. Le tableau est sombre. Mais les revenus coulent à flot dans les caisses de l’Etat. La bauxite fournie 63 % de l’ensemble des revenus miniers de l’Etat (plus de 3 milles milliards GNF, ITIE 2018). Comment concilier l’exploitation d’une ressource indispensable à la survie de nos finances publiques, à la protection d’un patrimoine naturel et identitaire ?  La mutualisation des infrastructures minières (portuaires) serait l’option la plus viable, rentable et préservatrice de l’environnement. La dispersion des infrastructures minières sur un espace chargé de défis historiques, d’enjeux écologiques et d’intérêts vitaux pour les populations, dégénère en conflits, compromet les capacités des collectivités à survivre à l’après mine, entrave l’exploitation des potentialités non minières, d’autant plus que 40% de la superficie de BOKE est pourvue en sols fertiles. Le paradoxe semble dépendre d’une simple volonté politique. L’équation est pour le moment résolue contre la survivance d’un destin légendaire, celui d’un fleuve qui a donné son nom, son existence à la destinée d’une région. Le Rio Nuñez, une source de vie, une ressource inépuisable, minée par l’exploitation minière.

BARRY Oumar, Doctorant à l’Université de LYON (France), chercheur sur les industries extractives, et les enjeux stratégiques des ressources minières

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