Le phénomène georges floyd, la classe politique guinéenne signe l’omerta

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S ’il est vrai que l’actualité mondiale, ces quinze derniers jours, a fortement été minée par des vagues successives d’indignations faites à l’encontre du racisme et des brutalités policières, il n’en demeure pas moins que celle guinéenne reste bornée sur des épiphénomènes imbus de rumeurs et d’infox tout azimut. Si fait que l’ensemble des observateurs de la scène politique se demandent quand est-ce arrivera le moment de la vérité en Guinée ?

Depuis la mort tragique de l’afro-américain, George Floyd, le 25 mai dernier, plusieurs formes de manifestations assorties de vives protestations et d’interpellations de diplomates américains, ont pullulé à travers le monde.

De Washington à Sydney, en passant par Paris, Berlin, Londres, Bangkok, Tokyo, ou encore Accra, Lagos, Tunis, Pretoria… sur les cinq continents du monde, nul n’est resté indifférent face à la cruauté qui a caractérisé l’acte des policiers de Minneapolis (ville dans laquelle George Floyd a été sauvagement étouffé, ndlr).

Assassinat de Floyd, photo crédit
Assassinat de Floyd, photo crédit

De ces manifestations, ce sont près d’un million de personnes qui ont été mobilisées à travers le monde. Scandant par-ci des propos incriminant le racisme, dénonçant par-là les brutalités policières faites à l’encontre des minorités ethnico-raciales, voilà le leitmotiv des manifestations tel qu’envisagé par les leaders du mouvement Black Lives Matter (en français : la vie des noirs compte ; ndlr) et autres organisations et leaders d’opinion américains.

Des manifestants, par milliers, ont lancé le slogan "No Justice, No Peace" devant la maison blanche
Des manifestants, par milliers, ont lancé le slogan « No Justice, No Peace » devant la maison blanche
A Pretoria également, capitale Sud-africaine, des manifestants ont scandé halte aux brutalités policières
A Pretoria également, capitale Sud-africaine, des manifestants ont scandé halte aux brutalités policières
Les canadiens à leur tour ont repris ce geste devenu légendaire
Les canadiens à leur tour ont repris ce geste devenu légendaire

Aujourd’hui, le monde entier s’est mis à l’heure du bilan en vue de questionner les pratiques policières et prohiber celles qui avilissent l’humain.

PENDANT CE TEMPS, QUE FAIT-ON EN GUINÉE ?

Relativement à cette onde d’indignation mondiale qui a fait trembler la diplomatie américaine jusqu’aux portes de la Maison blanche, du côté guinéen, aucune réaction, du moins pas officielle, n’a été enregistrée. Ni du côté de l’opposition réunie au sein du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). Ni du côté de la Présidence de la République pourtant officiée par un « panafricain », semble-t-il. Encore moins, du côté du gouvernement à travers notamment le ministre des Affaires Etrangères qui aurait pu interpeller l’ambassadeur des Etats-Unis en Guinée, à l’instar de son homologue zimbabwéen.

Silence coupable ou omerta de l’establishment politique du pays? La question demeure.

Le dernier tweet D'ALPHA CONDÉ date du 25 ma
Le dernier tweet D’ALPHA CONDÉ date du 25 mai

Cellou Dalein Diallo de l’UFDG, Sidya Touré de l’UFR, Lansana Kouyaté du PEDN, Faya Millimino du BL; ne font pas mieux. Pour ne citer que ceux-ci.

Cependant, il faut noter que certains activistes et  artistes se sont vertement outrés face à cette indifférence des guinéens. Parmi ceux-ci, Djani Alpha.

Cet artiste engagé, à travers un post publié sur sa page Facebook, a invité les guinéens à balayer devant leurs portes.

« Suite au meurtre de George Floyd (qu’il RIP), il y’a une grande chaîne de solidarité pour réclamer justice surtout chez les artistes et les hommes de média… Ah le guinéen, il laisse les tonnes chez lui et il veut s’occuper du gramme des gens. C’est triste mais vous êtes d’une lâcheté légendaire… Balayez devant chez vous…» a-t-il lancé.

Post du rappeur Djani Alfa
Post du rappeur Djani Alfa

COMMENT EXPLIQUER CE SILENCE ?

De toutes les analyses que l’on peut faire sur les membres de la haute sphère politique guinéenne, en rapport avec la décennie en cours, une évidence en ressort souvent. Ce sont leurs propensions à ne s’intéresser qu’à l’aspect patrimonial ou politico-économique des luttes qui émergent toujours comme conclusion.

Depuis 2010, plus d’une quinzaine de manifestations se sont réalisées sur le territoire national. La quasi-totalité de ces manifestations, pour la plupart initiée par l’UFDG (principal parti d’opposition, ndlr), n’a porté que sur des enjeux politiques avec en toile de fond le partage des privilèges et ressources tirés des fonctions électives.

En termes de bilan, ces manifestations, réprimées dans le sang par les forces de défense et de sécurité, ont convoyé à la morgue au moins 150 guinéens dans la zone de Conakry, sans compter les récentes manifestations tenues à Nzérékoré avec leurs corollaires de violences ethniques.

Répression des manifs politiques organisées par l'opposition; crédit photo.
Répression des manifs politiques en banlieue de Conakry; crédit photo.
Des guinéens sortis pour manifester contre le projet de nouvelle Constitution du président Condé
Des guinéens sortis pour manifester contre le projet de nouvelle Constitution du président Condé

Donc, si le silence des décideurs publics peut être compris parce que ceux-ci seraient coupables de quelque chose, celui de l’opposition reste insensé. Ce, dans la mesure où la principale raison des manifestations en cours, outre la crise raciale séculaire et endémique au pays de l’oncle Sam, c’est surtout les dénonciations des bavures policières qui sont mises sous le feu des projecteurs.

L’occasion est unique, dirait l’autre.

« Le racisme n’est pas en train d’empirer, il est juste filmé » déclare la star hollywoodienne, Will Smith.

Will Smith, 02/08/16
Will Smith, 02/08/16

Justement, à l’ère du numérique, plus rien ne restera comme avant. Et la Guinée n’échappe du tout pas à cette réalité. A chaque jour de manifestation, les smartphones aidant, des vidéos amateures circulent souvent en bouclent et sont partagées par plusieurs internautes.

Au mois de janvier dernier, un fait symptomatique du niveau d’extrême cruauté des forces de l’ordre a immergé de l’iceberg des violences politiques en Guinée. Il a fait l’objet de maintes indignations de la part des guinéens ; toute obédience politico-ethnique confondue (opposition, mouvance au pouvoir, ndlr). Il s’agissait d’une image, devenue virale sur la toile guinéenne, montrant une femme transformée en bouclier humain par des gendarmes pourtant venus rétablir l’ordre dans le quartier Wanidara, banlieue de Conakry, capitale guinéenne.

Une femme transformée en bouclier humain par des forces de l'ordre, en vue de se prémunir contre les jets de cailloux: 29 Jan 2020
Une femme transformée en bouclier humain par des forces de l’ordre, en vue de se prémunir contre les jets de cailloux: 29 Jan 2020

Pour la première fois, les guinéens ont tenté d’accorder leurs violons sur la problématique des bavures policières. Des excuses publiques en ont même été formulées par des membres du gouvernement dont celui en charge de la sécurité et de la protection civile, en l’occurrence Damantang Albert Camara, le principal concerné.

Cependant, malgré le tollé provoqué au sein de l’opinion, l’affaire s’est limitée au niveau du ministère de la sécurité (sanctions disciplinaires, ndlr). Aucune suite judicaire n’en est sortie, du moins à l’aune de l’opinion.

Ce fait reste illustratif d’une société où l’indifférence s’est muée en valeur sociale, où le repli identitaire est devenu endémique et le clientélisme, érigé en modèle de gouvernance.

Malcom X, invité au sommet de l’OUA, en tant qu’observateur, tenu en juillet 1964, alertait déjà sur les dangers de l’indifférence.

« Vos problèmes ne seront jamais entièrement résolus tant que les nôtres ne le seront pas. Vous ne serez jamais pleinement respectés tant que nous ne serons pas, nous aussi, respectés. Vous ne serez jamais reconnus en tant qu’êtres humains libres tant que nous ne serons pas, nous aussi, reconnus et traités comme des êtres humains libres. Notre problème est votre problème. Ce n’est ni un problème de Noirs ni un problème spécifiquement américain. C’est un problème mondial, un problème qui engage l’humanité toute entière. Ce n’est pas un problème de droits civiques mais un problème de droits humains… » avait-il alerté.

Discours visionnaire de Malcom X
Discours visionnaire de Malcom X

A l’instar de ce leader africain-américain, les guinéens, toute ethnie confondue, auraient du, doublement, profiter de cette période pandémique. D’abord questionner leur modèle socio-politique, entaché d’ethnicisme exacerbé et entretenu par des ressources publiques, de développement en vue de la relance post-Covid. Ensuite, procéder comme toutes les nations civilisées de l’heure. C’est-à-dire questionner les bavures qui caractérisent les pratiques policières pour une meilleure appréhension du phénomène, redéfinir les limites et implémenter les prohibitions requises par les normes élémentaires des droits humains.

En guise de rappel, sur les treize dernières années, au moins 500 guinéens ont connu le trépas et 5 000 ont été gravement blessés des suites de brutalités policières, dont 137 morts lors des manifestations de 2007, 157 morts le 28 septembre 2009, au moins 150 décès depuis 2010. Ce bilan demeure alarmant.

Ce qui précède implique que les agissements des forces de l’ordre se produisent sous la fine pellicule des bénédictions du pouvoir en place, entretenu par le silence coupable des forces d’opposition.

Conséquence, aucune jurisprudence forte n’a émergé depuis.

CHERINGAN

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