Justice guinéenne : dura lex sed lex

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L e 03 avril 2019, sur les ondes de la radio Espace Fm, une discussion des plus discourtoises s’engage entre Amadou Damaro Camara, chef de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale périmée et Yaya Kaïraba Kaba, procureur de la République de Kankan. Ce qui sonnait alors comme une audace, une révolution des magistrats n’était en fait que l’épilogue de l’inféodation du judicaire au législatif et surtout à l’exécutif. Décryptage.

Le pugilat verbal entre Amadou Damaro Camara et le procureur Yaya Kaïraba Kaba ont confirmé avec fracas la mise sous tutelle du pouvoir judiciaire par ces homologues des autres pouvoirs.

Depuis sa création, la justice a toujours et tout le temps été sous ordre de l’exécutif. Tout le monde le sait. La sortie de ces deux mastodontes du régime actuel n’a fait que renforcer cette théorie avec ironie. Puisqu’en fait, c’est un linge sale censé être lavé en famille qui s’est retrouvé sur la place publique.

Allons donc. Ce conflit implique de tous les côtés des poids lourds du RPG-arc-en-ciel et de l’administration publique actuelle. Amadou Damaro Camara, député selon les bons vouloirs du Chef de l’Etat, est le chef de la mouvance présidentielle au parlement. Yaya Kaïraba Kaba, procureur de la République de Kankan, Elhadj Mamadi Diawara Sotikémo de Banankoro, membre du RPG et le jeune Sekouba Cissé dit ‘’Armée’’, membre influent du parti au pouvoir au niveau local, Ansoumane Kaba, PDG de Guiter SA et de Guiter Mining ,frère de la première dame et membre influent du même parti. Toute cette clique dit agir pour l’intérêt d’un seul parti et d’un seul homme : Alpha Condé. Comment ont-ils pu en arriver là ? Quoi qu’il en soit, cette contradiction entre membres de la même famille politique prouve à suffisance que l’emprise du parti au pouvoir est devenue tellement considérable qu’il se confond à l’Etat.

Piqués au vif après que Damaro a qualifié leur institution, notre justice, de pourrie, les magistrats se réunissent en catastrophe et se fendent d’un communiqué à la hauteur de leur niveau de colère et de la «forfaiture» de l’accusée.

Dans la foulée, ils écrivent au bureau de l’Assemblée nationale pour lever l’immunité parlementaire du député expiré afin de le trimballer devant la justice. Devant eux quoi. Comme il fallait s’y attendre, l’Assemblée ne donne aucune suite favorable à cette demande d’extradition. Et c’est là que ça devient intéressant. C’est là que la célèbre formule dura lex sed lex prend tout son sens.

Messieurs les magistrats, la loi est dure mais c’est la loi. Le saviez-vous ? Vous vous rendez compte combien il fait mal d’avoir raison et de perdre la justice ? Comprenez-vous enfin les douleurs de toutes ces familles qui attendent que justice soit rendue dans tous ces cas de tuerie ou les siens y ont perdu la vie ? Pensez-vous à ces pauvres qui dorment à la belle étoile parce que vous vous êtes soumis aux desiderata de l’exécutif ? Que dire de ce brave policier dont la vie est menacée parce qu’il a arrêté un bandit de grand chemin et vous vous l’avez libéré ? Dura lex sed lex.

Damaro n’a fait que confirmer que ce qui est la dure et triste réalité. La scène est trop belle pour être vraie. Le député de la majorité présidentielle qui s’en prend à une justice que le système de l’exécutif a complètement siphonné. C’est le serpent qui se mord la queue.

Le plus grand mal de ce pays est son système judiciaire qui, à force d’être dépendante et moribonde a chassé l’Etat de droit et les investisseurs qui vont avec. C’est l’absence de justice qui rend les villes sales parce qu’il y a rien pour sanctionner les inciviques. La même absence de justice a mis le pays a terre puisque les plus détourneurs de deniers publics narguent les populations au vu et au su de tous. Palladino, Rio Tinto, Société navale, Albayrak, le petit avion de Dubaï qui fut arrête à Dakar, Agreko, K-énergie, Ebomaf….sont entre autres des scandales qui ont éclaté ici et ont englouti des milliards de nos francs, vous n’avez pas bougé messieurs les magistrats.

Les assassins des 100 morts du Prince, de Dame Boiro, de Paul Temple Colle, de Ghussein, de Amadou Oury Diallo (section motard UFDG), de Thierno Aliou Diaouné, de Zogota, de Koulé, de N’Zérékoré et de tant d’autres anonymes courent toujours. Vous, vous hâtez lentement. Ne parlons pas des disparus, des blessés, des journalistes tabassés, des femmes violées. Vous vous en foutez.

Alors laissez-nous rire un peu quand on vous voit vous agiter parce que l’animal que vous avez nourri tout ce temps vous a mordu. Le Président de la République passe son temps à dénigrer et à violer nos lois. Ses ministres en font de même en enfonçant le clou dans l’unité nationale, vous êtes aux abonnés absents.

Ousmane Gaoual doit certainement rire dans son coin. Lui qui a été déféré à deux reprises sans que vous ne preniez la peine d’enclencher la procédure de levée de son immunité parlementaire.

Alors, messieurs les magistrats, dura lex sed lex. C’est bien fait pour vous.

Alpha Oumar DIALLO

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