Interview : macron s’exprime sur l’annulation massive de la dette africaine

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L e Chef d’Etat français, Emmanuel Macron, à l’occasion d’une interview exclusive qu’il a accordée à nos confrères de la radio RFI, mardi 14 avril 2020, a annoncé vouloir engager, dès ce mercredi au G20 Finances, des actions allant dans le sens d’un moratoire qui pourrait être suivi d’une annulation massive de la dette contractée par les Etats africains.

Cette sortie du locataire de l’Élysée intervient dans un contexte où une foultitude de Chefs d’Etats, d’hommes politiques et d’intellectuels africains clament la nécessité de l’annulation de leur dette qui s’élève à quelque 365 milliards de dollars. Car, la réussite du combat contre l’actuelle pandémie, Covid-19, passe aussi par l’annulation ou l’allègement de cette dette, disent-ils en substance.

Au micro de Christophe Boisbouvier, le président français a indiqué que les Etats disposant d’une meilleure organisation doivent la solidarité à ceux africains : «Quand on regarde aujourd’hui la situation de l’Afrique, sur le plan sanitaire, sur le plan économique, sur le plan climatique, il est évident que nous lui devons la solidarité.»

Extrait !

RFI : Ce lundi, lors de votre allocution aux Français, vous avez bien sûr parlé essentiellement de la France. Mais vous avez aussi évoqué d’autres pays du monde. Vous avez notamment appelé à une annulation massive de la dette contractée par les pays du Sud. Est-ce à dire que votre inquiétude ne porte pas seulement sur la France, elle porte aussi sur l’Afrique?

«Oui, très profondément. Parce que je pense que la période dans laquelle nous entrons et que nous sommes en train de vivre collectivement touche aujourd’hui tous les continents. Et nous voyons l’extrême difficulté à affronter ce virus et à apporter des réponses dans les pays les plus développés, les systèmes sanitaires les plus robustes : les États-Unis, l’Europe, la Chine… Quand on regarde aujourd’hui la situation de l’Afrique, sur le plan sanitaire, sur le plan économique, sur le plan climatique, il est évident que nous lui devons la solidarité.»

…«On parle d’un continent qui vit la grande difficulté économique. Regardons les chiffres, là aussi : en 2012 en Afrique, on a une dette sur PIB qui est de 30%. Aujourd’hui, elle est de 95%. Donc les difficultés que je suis en train de décrire vont s’aggraver même si le Covid n’était pas une catastrophe sanitaire – et je ne sais pas dire aujourd’hui s’il ne le sera pas. Donc nous devons absolument aider l’Afrique à renforcer ses capacités à répondre au choc sanitaire et nous devons, a fortiori, l’aider à répondre sur le plan économique à répondre à cette crise qui est déjà là. Nous devons être à ses côtés.

C’est ce que j’ai voulu lancer au G20, il y a quelques semaines. Nous avons tenu une visioconférence, j’ai utilisé le temps de parole de la France pour dire : « On va se tenir ensemble, agir pour nos pays, et c’est déjà très dur. On doit absolument aider l’Afrique à s’en sortir. C’est un devoir moral, humain, pour l’Afrique et pour nous. » Et c’est ce que j’ai ensuite enclenché avec les leaders africains qui étaient là, dans un travail qui est la méthode à laquelle je crois : mobilisation pour l’Afrique et partenariat avec les leaders. Il y a dix jours, j’ai été invité par le président Ramaphosa à une réunion du Bureau africain par téléphone. J’ai pu échanger avec lui et plusieurs dirigeants, les présidents Abiy [Ahmed], [Paul] Kagame, [Macky] Sall, [Ibrahim Boubacar] Keïta, et Moussa Faki [Mahamat, le président de la Commission]. Et nous avons pu discuter des propositions que j’ai voulu faire à ce moment-là. C’est ce plan pour l’Afrique en quatre axes que nous avons bâti avec les leaders africains. On a aujourd’hui tous les leaders européens du G20, ainsi que l’Espagne, le Portugal et quelques autres, qui sont avec nous.»

Le quatrième axe de votre action coordonnée, c’est le volet économique, le volet financier. Les pays africains doivent rembourser quelque 365 milliards de dollars à leurs créanciers. Comment allez-vous convaincre ces créanciers, publics mais aussi privés, chinois, européens, américains, de renoncer à une telle somme ? C’est colossal !

Quand on regarde comment toutes les économies développées ont répondu à la crise, on a fait deux choses : un choc de politique monétaire et un choc de politique budgétaire. Les banques centrales, la banque d’Angleterre, la Fed, la BCE, ont eu une politique monétaire massive au mois de mars, sans précédent en termes de rapidité et de magnitude. Et ensuite, une réponse budgétaire, que les gouvernements sont en train de prendre.

Dans ce contexte, il n’y a pas d’équivalent monétaire sur le continent africain, et c’est la double peine : il n’y a pas la possibilité de faire cette création monétaire et ce mouvement justement nécessaire aux économies. En plus, on assiste, dans ces pays qui étaient en train d’émerger, à une fuite des capitaux qui accroît leurs difficultés. La réponse, l’équivalence, c’est ce que le FMI fait avec les bonds de tirage spéciaux. C’est cet objectif des 500 milliards, et on doit réussir à pousser cela et à allouer le maximum qu’on peut. C’est le premier pilier.

Le deuxième, sur le plan budgétaire, il passe par le sujet du service de la dette, ce que vous avez évoqué. Vous avez rappelé les chiffres, et ils sont cruels. Chaque année, un tiers de ce que l’Afrique exporte sur le plan commercial sert à servir sa dette. C’est fou ! Et on a accru ce problème ces dernières années. Je souhaite qu’on apporte une réponse la plus forte possible sur ce sujet, parce qu’il n’est pas soutenable. Je l’ai dit hier aux Français : je suis favorable à une initiative d’annulation de dette massive, c’est le seul moyen d’y arriver.

A court terme, on a eu une discussion. Il y a quatre représentants spéciaux qui ont été mandatés par l’Union africaine, ils ont fait des propositions que j’ai souhaité qu’on reprenne. Ces propositions, c’était de dire : « moratoire ». Parce qu’on a beaucoup discuté, ils ont beaucoup travaillé. Ils disent : « L’annulation, on n’y arrivera pas tout de suite. » Mais le moratoire, ça veut dire quoi ? Ca veut dire on ne rembourse plus les intérêts, vous nous laissez de l’oxygène. On étale cette dette, et on peut peut-être mettre tout le monde d’accord autour de cette idée.

Mercredi soir, le G20 finance doit acter, je touche du bois, en tout cas on y a mis tout notre capital politique, de ce moratoire sur les dettes à l’égard de l’Afrique. Moratoire qui touche les membres du club de Paris, mais aussi la Chine, la Russie, l’ensemble des économies du Golfe, et les grands bailleurs multilatéraux. C’est une première mondiale. Ça veut dire que le temps de la crise, on laisse les économies africaines respirer et ne pas servir les intérêts de la dette. C’est une étape indispensable, et je pense que c’est une formidable avancée. Maintenant, elle doit précéder d’autres étapes sur lesquelles nous devons travailler, qui sont des étapes de restructuration de la dette africaine. Il faut le faire sans évidemment pénaliser les pays africains les plus rigoureux, qui se sont attachés à avoir une politique de soutenabilité. Mais on ne peut pas non plus dire : « Cet effort ne sera fait que par quelques-uns, et les autres ne le feront pas. » Il doit être, si je puis dire, le même chez tous les grands bailleurs.

Les Chinois sont détenteurs de quelque 40% des créances actuelles sur l’Afrique. Est-ce que vous avez parlé avec le numéro 1 chinois, Xi Jinping? Est-il d’accord pour rééchelonner cette dette, voire pour l’annuler, comme vous l’avez demandé ?

Je n’ai pas eu une discussion avec lui sur ce sujet. Je sais pour lui l’importance que revêt l’Afrique. Je ne doute pas une seule seconde que pour le président chinois, la situation aujourd’hui de l’Afrique justifie un geste de cette importance. Donc c’est une discussion que nous aurons, soit dans le cadre d’un G20, s’il pouvait se tenir dans les prochains jours ou dans les prochaines semaines, soit sur un plan bilatéral, parce que je vais le solliciter sur ce point. Mais je pense que c’est un geste important que la Chine doit faire pour accompagner ce travail. Ce qui est sûr, c’est que vous avez rappelé les chiffres : la Chine est aujourd’hui un grand bailleur du continent africain. Tous les bailleurs du continent africain doivent être dans cette logique d’efforts pour aider le continent africain à traverser cette crise. Et donc elle y aura son rôle et sa part.

Et les créanciers privés ?

Je l’ai dit : tous. Moralement, humainement, c’est notre devoir, de manière partenariale avec l’Afrique. Donc je pense que les bailleurs publics, privés, bilatéraux et multilatéraux, doivent s’engager dans cette logique. Moi, j’ai donné un horizon. Maintenant, on doit réussir, tous, à se mettre autour de la table et mener ce travail. C’est inédit.

Un mot sur la question monétaire dont vous avez parlé tout à l’heure en Afrique. Les pays les plus touchés par la crise économique consécutive à ce virus, ce sont les pays pétroliers d’Afrique centrale. Est-ce qu’une dévaluation du franc CFA est à craindre dans la zone Cemac ?

On n’en est pas là, et là-dessus, je pense qu’il faut toujours essayer la stabilité et la cohérence d’une politique régionale. Ce qui est vrai, c’est que plusieurs pays qui ont une forte dépendance au pétrole – mais vous savez, il y a aussi une baisse très forte de plusieurs matières premières, je l’évoquais – sont aujourd’hui en situation extrêmement difficile, sur le plan budgétaire comme sur le plan du régime de change. Donc c’est une discussion, ce n’est absolument pas à moi de dire ça aujourd’hui. C’est avant tout aux leaders de ces pays et aux instances régionales d’en décider.

Notre rôle, c’est d’accompagner les leaders de ces pays, leurs acteurs économiques comme leurs institutions, pour absorber ces chocs et aider à réussir. Et aider à ce qu’on lutte contre la pauvreté et qu’on permette aux opportunités économiques de se multiplier.

La rédaction

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