Immigration : l’expérience d’un jeune guinéen sur le chemin de  »l’enfer »

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Diplômé en 2017 à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia, Fara Camara a opté pour l’immigration clandestine vers l’Europe après avoir plusieurs fois tenté sans succès de trouver un emploi en Guinée.

De Conakry, en passant par la Méditerranée jusqu’en Europe, ce jeune guinéen a accepté de nous livrer son témoignage qui fait froid dans le dos.

A l’entame de l’entretien, notre interlocuteur a expliqué d’abord ce qui lui a poussé d’emprunter le chemin de l’exil par la voie illégale.

« Après l’Université, j’avais des amis qui m’appelaient un peu partout pour me dire Didon, nous, on a abandonné les études parce qu’on sait qu’il y a tellement des diplômés sans emploi dans ce pays-là,  donc, profiter ailleurs, c’est la solution. Donc je me suis dit quand j’étais sur le banc, qu’après l’Université, la première chose que je vais entreprendre, c’est de voyager. C’est pourquoi après le cycle universitaire,  je me suis dit carrément, il faut emprunter le chemin de la traversée. Mais disons, c’est un chemin de l’enfer, il faut être clair avec les mots. De Bamako vers l’Algérie, il y a des choses qui se passent de bizarre» a-t-il expliqué.

Selon Fara Camara, les passeurs contribuent à rendre impossible la vie des migrants. Car, dit-il, ces derniers les soutirent de l’argent pour rien.

« La première somme qu’on m’a envoyée pour faire la monnaie et quand j’ai fait la monnaie, le monsieur me dit que c’est ton transport ça jusqu’en Italie. Je lui donne, il bouffe mon argent. Une fois à Gao, on vous débarque là-bas, on vous demande d’appeler vos parents, ils vont vous verser de l’argent.  Si l’argent retarde, on te maltraite, on te malmène, on te bastonne. Pas de nourriture à vous donner, pas de l’eau  à vous donner. Pour eux d’abord, la solution, c’est quoi? Quand vous souffrez de plus, ils vont obtenir de l’argent. Quelque part on a subi des maltraitances et du coup quelqu’un m’a envoyé une somme qui pouvait m’aider à rentrer au premier village de l’Algérie. Mais, c’est une question de magouille. Ce sont des trafiquants.  Vous arrivez sur certains territoires où le gouvernement n’existe même pas. Le mot d’ordre là-bas, c’est la violence. Que ça vous plaise ou pas, ce n’est pas leur problème ce qui les intéresse,  c’est leur bisness » a relaté Fara Camara, qui confie également que beaucoup d’autres guinéens ont vécu le même calvaire en voulant se rendre en Europe.

« Avec mes frères guinéens, on a trop souffert parce qu’on était les plus nombreux. Quand je suis arrivé dans  le désert, je me suis interrogé, pourquoi nous voulons tous voyager de cette manière? Et puisque tu ne pouvais pas t’interroger, ni personne d’autre parce que toi-même tu es sur le chemin. Je me suis,  il faut y aller à partir du moment d’autres sont passés sur ce chemin-là. Moi aussi, je me suis dit qu’il faut faire comme eux. Mais, c’est que tout le monde n’a pas la même chance pour ce voyage aussi. Puisqu’ il y a des chauffeurs dès que qu’on les donne leur argent, arriver sur le désert on vous  débarque. On vous dit que c’est à 2 km ou à 3 km. Par exemple, nous on a fait 3 jours pour marcher à pieds jusqu’à voir le premier village. Il n’y a que 3/14 qui ont pu renter en ville à pieds, les autres on dit qu’ils préfèrent mourir sur le désert. Eux, ils étaient complément affaiblis » rapporte notre interlocuteur.

A chaque étape de leur passage, les candidats à la migration clandestine sont sommés de verser de gros montants, d’après ce jeune guinéen, victime de sa volonté de rejoindre l’Europe.

« J’ai fait un an deux mois presque de travail. Parce que c’est comme ça que ça se passe. Si vous n’avez pas l’argent nécessaire pour la traversée de la Méditerranée. D’autres peuvent faire plus que ça, 2 ans, 3 ans, ça dépend de l’objectif qu’on s’est fixé. Donc quand j’ai obtenu mon transport, je me suis dit, il faut continuer le voyage vers l’Europe. C’est ainsi que j’ai pris le chemin de la Libye aussi. Et sur le chemin-là, c’est la même chose. Pour rentrer sur le territoire libyen, c’est autre chose parce qu’on marche à pieds. Arrivé, les trafiquants s’appellent entre eux mais ça trouve que tu as versé la somme nécessaire pour la traversée de la Méditerranée d’abord. Et quand on est arrivé à Tripoli, on nous a caché encore parce que nous sommes au fait un produit qu’on ne peut pas exposer. Pour vous faire rentrer dans la capitale, on vous met deux à trois dans le coffre des taxis pour tromper le contrôle policier. Et quand  vous arrivez maintenant dans les cours, on soulève le coffre pour vous faire sortir. La nuit, on vous amène au bord de la mer. Vers 1h, 2h, on essaie de vous embarquer » explique-t-il, jurant s’il connaissait auparavant la dangerosité de cette route, il n’allait pas s’engager à telle aventure.

Mais, dit-il, la balle était déjà lancée et il n’était plus question de faire marche arrière. Car, insiste-t-il, deux choix s’offrent aux candidats dans ce cas de figure : prendre la mer ou la balle.

« Tu es obligé de choisir la mer. Si la mort te trouve là-bas tu diras que tu t’es vu dans ça, mais tu ne t’attendais pas. Mais quand tu choisis la balle, là c’est rapide. Tout le monde est obligé de choisir la mer. Nous, quand on nous a lancé ce jour, trois barques. L’autre, au bout de 3 heures de parcours sur la mer a disparu. Les autres maintenant c’était la souffrance, les pleurs. Nous, le bateau qu’on a emprunté, on nous dit d’abord: vous avez  pris énormément de risque parce qu’actuellement, l’Italie a interdit aux immigrants de rentrer et vous, vous empruntez le chemin de la mer. Ils n’ont pas accepté de nous prendre. On a continué jusqu’à épuiser notre carburant. On avait plus de carburant, on était intact sur l’eau. Maintenant, il y a un second bateau qui est venu nous prendre sur la mer. Dès qu’on s’est embarqué abord du bateau, on a vu un hélico venir de l’Italie. Ils ont demandé pourquoi vous les embarquez alors qu’il est dit de ne même pas leur donner des gilets de sauvetage à plus forte raison, les embarquer. Sur le champ,  le capitaine nous dit : ah on ne peut pas vous envoyer  vers l’Europe. On nous demande de retourner vers la Libye. C’est ainsi qu’on nous a ramené encore sur le continent africain. Malgré tout ça même de retour  en Libye, on a eu encore des tortures dans les prisons. L’unique ration qu’on vous donne par jour qu’on appelle dans notre jargon  » Macronie » quand vous prenez deux cuillerées ça, c’est pour toute la journée. L’eau aussi comment on faisait? C’est dans la douche. On l’envoie une fois par jour. Dès que ça vient, tout le monde en profite. Si vous n’avez pas la force, vous ne pouvez pas avoir de l’eau. Même moi, une fois j’ai eu le vertige dû à la fatigue je suis tombé dans la cour. Les plus forts ont eu pitié de moi à cause de mon état. Avant qu’on ne quitte là-bas, beaucoup sont tombés malades dans les prisons libyennes. D’abord, vous êtes mal alimentés. C’est une politique pour eux. Ils se disent quelque part s’ils sont bien approvisionnés pour ne pas que certains fuient. Et quand on nous a demandé ceux qu’ils veulent retourner dans leur pays volontairement qu’il y a l’OIM pour nous aider, moi je me suis inscrit sur cette liste-là. C’est ainsi la grande partie de cette équipe est  revenue. On a jugé nécessaire si ça n’a pas marché pour rentrer en Europe, on préfère alors rentrer chez nous» se souvient encore le jeune migrant retourné.

L’unique conseil que Fara Camara a à lancer aujourd’hui à l’endroit de la jeunesse guinéenne et africaine est d’opter pour la voie légale pour rejoindre l’Europe.

« Sinon, il y a tellement de morts, des disparus. Donc évitons le chemin illégal. Et sachez que nous pouvons rester chez nous aussi et réussir ici. C’est possible avec le courage et la motivation. J’espère que ça peut aller. Et surtout avec zéro complexe parce que ce qui nous fatigue aussi c’est trop de complexité » conseille-t-il.

Décryptage: Mata Malick Madou

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