Guinee : les risques de la bipolarisation politique

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 Les élections communales terminées, comme au lendemain de chaque échéance d’envergure, il convient d’en dresser le bilan et d’identifier les principaux enseignements. Justement, on en a déjà deux qui semblent se contredire. D’une part, au vu des résultats jusqu’ici rendus publics, on se rend compte que l’espace politique guinéen s’achemine allègrement vers une bipolarisation qui n’augure rien de bon, tant les grands blocs politiques qui émergent recoupent des regroupements communautaires plus ou moins fermés, l’un à l’autre. L’autre enseignement qui, celui-là, remonte au jour même du scrutin se rapporte à la faible mobilisation des électeurs. Ce qui en soi traduit le rejet de l’offre politique de l’heure, au contenu jugé creux et peu innovant. La conséquence de ces deux leçons renvoie à la nécessité d’une nouvelle offre politique incarnée par de nouveaux leaders dont l’avènement imminent est le principal message de ces élections communales.   

A l’analyse des résultats des élections communales du 4 février jusqu’ici rendus publics, des observateurs s’amusent à trouver qu’on en vient finalement au souhait que Lansana Conté avait, au début des années 90, formulé. On en était au débat précédent la rédaction de la première constitution de la Guinée post-Sekou Touré. A l’époque à la tête du CMRN, Lansana Conté avait alors souhaité que l’on limite la libéralisation de l’espace politique à deux partis politiques. C’était à ses yeux, un rempart contre les stratégies ethnocentristes. Environ 30 ans après, par la force des choses, on a l’impression que ce vœu est sur le point de se voir exaucé. D’où la joie qui anime ceux qui, naïvement, rêvent de voir la Guinée en finir avec les démons de l’ethnicité. Mais il n’y a rien de plus faux que cet espoir-là. Certes, il est bien vrai qu’à court terme, on va vers une certaine bipolarisation du champ politique guinéen. Au vu des résultats des élections passées, il est de plus en plus évident que le RPG-arc-en-ciel et l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) se partagent l’essentiel de l’électorat guinéen. C’est là une des conséquences fâcheuses du déclin devenu inéluctable de l’Union des forces républicaines (UFR) de Sidya Touré. Mais contrairement au rêve que caressait le général Lansana Conté, l’émergence de ces deux partis n’est pas nécessairement un remède contre l’ethnostratégie.

Tout au contraire, cette émergence tend à exacerber les antagonismes entre les communautés ethniques constituées autour de ces deux formations politiques. A propos, contrairement cependant aux thèses de François Soudan dans son article à controverse, il n’y a pas que l’UFDG qui fait dans le communautarisme. Le RPG aussi fait le plein de voix en Haute Guinée. Et s’il engrange quelques voix dans les autres régions, c’est là l’effet des cadres de l’administration qui battent campagne dans leurs localités d’origine. Cette situation est tout naturellement la conséquence d’approches qui, de part et d’autre, manquent cruellement de hauteur de vue et de sens patriotique. De même, dans l’une et l’autre des deux formations politiques, les leaders peinent à se hisser au rang d’hommes d’Etat. D’un côté, on est toujours dans la posture victimaire. Alors que de l’autre, on voue au camp d’en face un mépris assumé et revendiqué.

Ces comportements étant, dans l’un et l’autre camp, mécaniquement dupliqués par la base, le pays demeure prisonnier du cercle vicieux. Et il faut y voir la raison de la faible mobilisation des électeurs du 4 février. Ce après que les mêmes élections aient nécessité des séries de marches avec des dizaines de victimes, des destructions de biens, des citoyens handicapés à vie et d’autres ayant séjourné en prison. Bien entendu, les Guinéens voulaient des élections communales, parce qu’ils savent que c’est là le filtre pour se donner des administrateurs locaux à-même d’impulser le développement local. Malheureusement, au moment de faire le choix ultime, chacun a subitement réalisé qu’il avait surestimé le scrutin. Surtout, chacun s’est rappelé que les options sont limitées. Chacun a réalisé qu’il avait à choisir entre ceux dont il est convaincu qu’ils ne pourront rien changer à son quotidien et l’abstention. Beaucoup ont aussitôt misé pour cette dernière. Parce qu’il est vrai que les candidats qui ont sillonné le pays pendant les deux semaines de campagne n’avaient pas l’envergure et l’étoffe des dirigeants de la rupture que les électeurs attendaient. Leurs messages de campagne, vides de sens et surtout dénués de propositions, n’étaient en rien accrocheurs. On a eu droit à un ping-pong assourdissant entre une dénonciation en règle du bilan de la gouvernance actuelle et une réplique systématique de cette dernière sur fonds de promesses, les unes plus farfelues que les autres. Rien qui aurait pu aider les Guinéens à faire un choix rationnel. A cela, il faut ajouter l’incapacité notoire des différents leaders à surmonter certaines tares personnelles. Les uns, éternels grincheux et geignards. Les autres, suffisants et toujours portés sur les conflits et sur tout ce qui divise. Voilà qui attend donc la Guinée. Des partis communautaristes et des leaders peu avisés et manquant d’inspiration.

On peut en conséquence parier. Aussi longtemps que ce schéma plutôt rigide sera en vigueur, les électeurs guinéens ne se bousculeront pas devant les urnes. Parce que de plus en plus, les Guinéens ont conscience que ce n’est pas ce qu’il faut à la Guinée. Aussi, leur abstention doit être perçue comme un appel à une alternative sous forme de troisième voie. Une bouée de sauvetage qui se doit de comprendre ce contexte et d’en tenir compte. On espère donc qu’avec les échéances charnières de 2020, le sort sourira enfin à la Guinée pour lui offrir cette autre voie porteuse d’espérance. C’est tout le mal qu’on peut souhaiter à ce pays qui n’a que trop souffert, dans sa quête du bonheur et de la tranquillité.  

S. Fanta

 

 

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