Guinée : la bauxite pour combien de temps encore ?

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La Guinée est le deuxième producteur de bauxite au monde derrière l’Australie. Mais pour combien de temps encore ? La politique minière en vigueur dans le pays depuis 2010 est d’une dangerosité  toxique pour le présent et l’avenir du pays. Si le statu quo  persiste, nous perdrons cette place de producteur de terre rouge et peut-être nous prendrons nos ordres à…Pékin.

A chaque fois qu’il a l’opportunité d’en parler, le Président Alpha Condé ne tarit pas d’éloges à l’endroit de sa politique minière qu’il vend  à qui veut la prendre. Publication sur le net du code minier et des contrats  entre l’Etat et les compagnies minières, participation de l’Etat à hauteur de 15% dans toutes les compagnies minières et surtout l’accélération exponentielle de l’exportation de la bauxite. Ce qui a fait passer la Guinée au rang de deuxième exportateur de bauxite derrière l’Australie et devant l’Indonésie.

Mais ce qu’il ne dit pas, ce que la plupart des entreprises minières qui exploitent la bauxite et qui s’engagent en Guinée le font pour l’exportation de la bauxite brute. Cette terre rouge que nous voyons passer tous les jours dans les wagons de la CBG, de GAC et de RUSAL ou dans les camions de la SMB et tant d’autres.

Ces entreprises ne développent aucune politique d’industrialisation ou de semi-industrialisation de la bauxite. Hormis, l’usine de Fria qui appartient au géant russe RUSAL, aucune compagnie minière ne dispose d’une usine de transformation de la bauxite en alumine encore moins en aluminium. Or, tous les experts conviennent qu’en plus du faible taux d’emplois qu’elle crée, l’exploitation de la bauxite brute détruit considérablement l’environnement. C’est seulement en industrialisant son secteur minier qu’un pays peut mieux tirer profit des richesses de son sous-sol. Tout le monde le sait mais pourquoi l’Etat guinéen ne l’exige pas de ses partenaires ?

Les réponses sont à trouver au prima bord dans le positionnement d’éternel producteur de matière première que nous a légué le colonisateur.

Secundo, et c’est le plus important, l’Etat guinéen n’a cessé de tirer l’essentiel de son PIB de ce secteur minier dans lequel il ne dispose d’aucune entreprise publique nationale. Hormis la CBG où il est actionnaire minoritaire (49%), l’Etat ne dispose d’aucune compagnie qui pourrait renflouer ses caisses de devises étrangères de la vente de la bauxite. Aujourd’hui, seules les taxes payées par ces sociétés contribuent au budget national du pays.

En 2015, ces taxes ne représentaient que 24% des recettes de l’Etat alors l’exploitation minière représentait à la même année 60% des exportations du pays. Paradoxe quand tu nous tiens !

Pouvons-nous continuer à continuer sur cette politique  désastreuse ?

Certaines compagnies minières se sont installées en fanfare avec à la clé la volonté apparente de réaliser tous les accessoires nécessaires à l’exploitation de la bauxite. La plus grande d’entre elle et de loin la plus ancienne, la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) s’était engagée dans la convention de réaliser une usine de raffinage de la bauxite. Patatras !

Cependant, elle reste de loin celle qui respecte le plus les clauses du code minier. La CBG a construit une usine de traitement de la bauxite, une citée pour ses employés à Kamsar et à Sangarédi, elle paie ses taxes à l’Etat ainsi que les 0,4% de son chiffre d’affaires qui sont partagés entre les sous-préfectures de Boké. Mieux, la CBG s’est carrément substituée à l’Etat dans certains domaines comme la fourniture d’eau, de l’électricité et de la santé qu’elle offre gratuitement aux populations de Sangarédi et de Kamsar.

Il est difficile de parler de concurrence dans le secteur minier puisque chaque société arrive avec son permis d’exploration puis d’exploitation et se limite seulement aux contours de la zone que l’Etat lui a octroyée. Mais elles peuvent se rivaliser et dans ce domaine, le grand challenger de la CBG reste la Guinea Alumina Corporation (GAC.) Arrivée dans les années 2000, la filiale guinéenne d’Emiraties Global Alumina a promis de réaliser une raffinerie et rivaliser avec la CBG dans la construction des cités et d’autres infrastructures pour les communautés. Aujourd’hui, il en est tout autre sur le terrain.

Le projet de raffinerie est reporté aux calendes grecques. Il n’  y a pas de cité hormis celle minuscule de Tinguilinta à 35 km de Boké, qui a fait à peine 18 bâtiments. Les employés de GAC sont dispersés entre Conakry, Boké, Kamsar, Tinguilinta et Sangarédi. Elle s’est cantonnée à transporter la bauxite brute vers les Emirats Arabes Unis dans des navires qui accostent à son gigantesque port de Kamsar.

Pour Diandian, RUSAL n’a même pas prévu d’usine de traitement de la bauxite à plus forte raison une raffinerie. Pour le géant russe également, les employés sont à Sangarédi et certains cadres sont dans la capitale.

Pourtant, ces trois compagnies sont ceux que l’on peut appeler dans le contexte guinéen, les bons élèves qui apprennent leurs leçons.

Quant aux Chinois, ils sont dans une autre dimension d’exploitation sauvage qui saute aux yeux. Contrairement aux trois premiers, la SMB et Chalco transportent leur bauxite dans des camions bennes ordinaires.

Nous avons largement parlé de cette autre arnaque dans un dossier d’enquête spécial publié en août dernier. Ne parlons pas des citées ou autres. Mais ce qui est encore inquiétant avec les compagnies chinoises, ce que toute la bauxite extraite en Guinée est stockée à Yantai en Chine.

De sources sûres, cette bauxite n’est ni traitée, ni transformée, mais simplement stockée. En attendant quoi ? Seule Pékin pourrait nous le dire. Il vous souviendra c’est à cause de cette politique de Pékin que l’Indonésie à arrêter toute exportation de sa bauxite vers l’extérieur, notamment la Chine parce qu’elle craignait un retour de bâton de la part de la Chine.

La Guinée ne  devrait-elle pas s’inspirer du modèle indonésien pour se prémunir de cette politique chinoise qui pourrait un jour la nuire ?

Pour finir, le chinois Chalco filiale de Chinalco, est en train de réaliser à Boffa un tapis roulant de plusieurs kilomètres pour transporter directement la bauxite de la mine vers le port maritime qu’elle est en train de construire également.

Le tapis de Chalco à 18 km de la commune urbaine de Boffa

Si ce projet arrivait à bout, ce serait une destruction sans précèdent des emplois dans cette zone, puisque ce tapis remplacerait toute la chaine de transport de la matière première. Finis les camions et leurs chauffeurs, finis les superviseurs et les pointeurs, finis les agents de sécurité, finis les livreurs de carburants, finies les constructions de pont pour le passage des camions ou des trains. Bref, fini l’emploi.

Changeons, sinon ils nous changerons.

Alpha Oumar DIALLO

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