Fonction publique : allez au travail, oui, mais pourquoi faire ?

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E mbouteillage monstre dès 6 heures du matin et ses corollaires sont les conséquences de la décision du président guinéen de sanctionner tout agent public qui ne serait pas présent sur son lieu de travail à 8h 00. Si la décision parait salutaire, elle est tout aussi surprenante et surtout elle pose une question simple : pour qui travaillent réellement les fonctionnaires guinéens ?

Depuis sa réélection contestée pour un troisième mandat, le président guinéen fait feu de toute sa puissance pour faire comprendre à ses compatriotes que cette fois, c’est la bonne.

Pour le ‘’premier mandat de la 4eme république’’ comme ils aiment à le dire, il est fin prêt pour développer son pays.

Après la séance télévisée où il explique le concept et le pourquoi du gouverner autrement, il passe à l’action en se rendant lui-même dans différents départements ministériels pour constater de vue us la présence effective ou l’absence totale des agents de la fonction publique. Gare aux absents ou aux retardataires, ils seront lourdement sanctionnés à la guinéenne. C’est-à-dire rien.

Après un saut à la BCRG et aux Impôts où il a décroché et emporté des téléviseurs, Alpha Condé promet de faire des visites inopinées similaires dans d’autres départements ministériels, services spéciaux ou entreprises publiques.

La menace est prise très au sérieux auprès des fonctionnaires qui se mettent en branle pour rallier leurs différents services. Affectées ou pas, ils y vont quand même. Quitte à se regarder toute la journée. Mais pourquoi faire au juste ?

La fonction publique guinéenne est d’une inefficacité légendaire. Dès le départ du colon, elle est devenue un instrument politique à la solde du président et du clan de celui-ci. Sékou Touré y a même intégré les grands artistes et ballets de l’époque. Sous Conté, elle est moins politisée qu’avant 1984 mais fortement corrompue et tournée vers le divertissement, la démagogie et le tripatouillage électoral. Ce fut l’époque où des hauts commis de l’Etat parrainaient les concerts dédicaces et les matchs de football dotés de plusieurs trophées, dont celui de Hadja M’mah Camara était le plus sponsorisé. A grands coups d’argent du contribuable bien entendu. La sous-préfecture de Friaguigbé s’est tristement illustrée dans ce sens.

En 2010, l’espoir suscité par l’arrivée d’un civil intellectuel de surcroît Sorbonnard céda vite sa place à la désillusion. L’administration se transforma en une vaste et lourde bureaucratie tournée vers la satisfaction du seul parti au pouvoir. Le critère de la compétence a foutu le camp pour laisser la place à toutes les tares d’un narco-Etat. Les arrangements reprennent de plus belle avec cette fois une forte connotation ethnique. L’efficacité et l’efficience recherchées par toute entité organisée ne figurent pas dans l’agenda de nouveaux princes. Le népotisme, la délation, le favoritisme, l’ethnocentrisme, les querelles de positionnement et la perversion sont les maux-clés qui caractérisent notre fonction publique depuis lors. Comment pouvons-nous attendre un quelconque résultat positif venant de ceux qui ne savent même pas pourquoi ils sont là ?

A toutes les échelles de l’administration, le manque de moyens est pointé du doigt comme étant le principal goulot d’étranglement. Par les acteurs eux-mêmes. Les plans de reformes étamés peinent à donner des résultats probants.

Près de la moitié des agents publics n’est affectée à aucune tâche, à aucune mission. Ceux qui le sont se retrouvent entassés dans des bureaux insalubres et mal lotis où ils se rongent les ongles en attendant la vendeuse de Takoula ou la courtière d’arachides grillées. Les plus nantis se tapent une série télévisée dans leur bureau climatisé. N’ayant aucune feuille de route, aucune fiche de poste encore moins de fiches d’objectifs, les agents de la fonction pataugent dans une inertie favorisé et encouragé depuis le sommet.

Cet immobilisme met un coup fatal à toute action de développement. Quid du PREMA (Programme de Réforme de l’Etat et de la Modernisation de l’Administration) ?

Financé en partie par le PNUD, ce programme est resté bloqué dans les arrangements et les mesquineries gouvernementales. Le manque de volonté politique à déployer de gros moyens pour former et équiper l’Administration publique est une des conséquences de la léthargie des fonctionnaires et leur manque criard de productivité.

Comment obtenir des résultats probants d’un agent lorsqu’il n’est pas doté des moyens efficaces et n’exerce pas dans les conditions minimales de travail ?

Le salaire moyen du fonctionnaire guinéen reste insignifiant au vu du coût de la vie dans son pays. Pour parvenir à supporter les charges inhérentes et incompressibles de la famille, les uns trouvent discrètement un second boulot dans le privé ou l’entreprenariat, les autres mouillent dans la corruption à ciel ouvert. Si l’Etat doit certes exiger de ses agents la régularité et ponctualité, il doit s’assurer en premier d’avoir créé les conditions basiques de ce contrat.

Dans la répartition territoriale des fonctionnaires, Conakry déborde avec plus de 80% des agents alors que l’accès au service public est plus criant à l’intérieur du pays. Tenez, sur les 13 000 policiers que compte la Guinée en 2018, 11 000 étaient entassés à Conakry. Leur travail ? Fuir les bandits, arnaquer les paisibles citoyens et abattre les manifestants de l’opposition ou de la société civile.

Il en de même pour les fonctionnaires civils dont certains font tout pour rester à Conakry, la « capitale. » L’intérieur, c’est l’enfer pour eux. Ils n’en veulent pas. Et à juste raison. Cette partie de la Guinée qui fait 98% du territoire national manque de tout. Hormis quelques villes desservies par l’électricité et quelques kilomètres de bitumes, le reste ne dispose d’aucun service social de base de qualité.

Quand un fonctionnaire y est affecté de Conakry, c’est généralement une rétrogradation ou une sanction. Du coup, tout le monde s’arrange pour rester ici au bord de la mer. Le service public relève d’un véritable parcours de combattant. D’abord, par son inaccessibilité et par la suite, par la piètre qualité du travail rendu sans oublier la corruption qui gangrène tout son système de fonctionnement.

L’Etat guinéen est l’un rare au monde à ne pas maitriser le nombre exact des agents qu’il rémunère grâce au contribuable. Le laxisme qui le caractérise l’empêche d’arriver au bout de beaucoup des réformes essentielles à la survie même de la nation. C’est ainsi qu’à coup de milliards de nos francs, il a acheté des appareils pour enregistrer électroniquement les arrivées et les départs des fonctionnaires au bureau.

Aujourd’hui, bon nombre de ces appareils sont inutilisables parce que l’entretien technique n’a pas suivi. Alors qu’Alpha Condé arrête sa promenade de santé et aille se consacrer à l’essentiel. Comme le dit un rapport d’experts de la Banque Mondiale venus auditer la fonction publique, ‘’en Guinée, l’Etat fait semblant de payer les fonctionnaires et ceux-ci font semblant de travailler’’.

Alpha Oumar DIALLO

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