Fiasco dans la campagne agricole 2017: le gouvernement guinéen se défend sans convaincre

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La campagne agricole 2016-2017  a pris du plomb dans l’aile.  Plusieurs  hectares de champs de riz, de maïs de pommes de terre détruits à l’intérieur du pays, notamment dans les régions de la Haute et de la Moyenne Guinée. Si les autorités justifient ces dégâts  par  la mauvaise répartition pluviométrique, les paysans eux pointent du doigt les fertilisants (engrais, herbicide…) importés par le gouvernement. La première usine d’engrais de Guinée a été fermée ce mois d’octobre 2017 et les engrais importés du Maroc ont été distribués sans aucun contrôle de qualité du Service National des Sols de Guinée, les champs ont été contaminés. Business au sommet des deux États ?

La campagne agricole 2017-2018 a été lancée le dimanche 28 mai à Siguiri. Seulement 5 mois après l’application de ces fertilisants, les paysans ne s’attendent presque à rien lors des récoltes qui s’annoncent dans plusieurs localités de la Haute et de la Moyenne Guinée.  A Kouroussa, Siguiri, Kankan et Mandiana, les agriculteurs impuissants  observent chaque jour,  leurs champs de riz dévastés. Les autorités agricoles constatent les faits mais  attribuent  ce désastre  au  désordre climatique.

Selon le Directeur Préfectoral de l’Agriculture de Siguiri : «  la Haute Guinée a enregistré une faible quantité de  pluie tombée cette année par endroit. Une situation qui ne favorise pas l’humidité du sol.

Une pilule difficile à avaler par les paysans victimes. Selon eux, les autorités cherchent  à travers  cette explication à camoufler la mauvaise qualité de l’engrais importé de l’État du Maroc. Sinon «  qu’ils nous expliquent  comment est- il possible que  les composts  puissent  mieux donner que l’engrais  importé par l’État ?   Car, j’ai appliqué les deux (compost et engrais) dans un même champ, mais à des parties différentes » lance Aly Doumbouya un paysan joint à Norassoba dans la préfecture de Siguiri

A Koumana dans la préfecture de Kouroussa, Sékou dispose  de 15 hectares de rizières et, fort de plusieurs années d’expérience dans la production rizicole, il exprime toute sa peine en ces termes : «Nous n’avons pas été à l’école certes, mais nous savons faire la différence entre les dégâts causés par  la perturbation pluviométrique  et les fertilisants. J’ai  consacré toute ma vie à l’agriculture. Malgré ma maladie,  je réalise chaque année un important champ de riz. Cette année j’ai subi une grande  perte due   à la qualité de l’engrais importé. J’étais très sceptique en l’appliquant. Et finalement le pire n’a pas été évité».

A la différence  de la Haute Guinée, en Moyenne Guinée ce sont les champs de maïs et de pommes de terre qui sont attaqués par la maladie mildiou.  Selon les paysans de plusieurs localités de cette région,  l’engrais importé  par l’Etat guinéen du Maroc serait est à l’origine de cette maladie.

« Nos champs notamment de pommes de terre ont été complètement détruits. D’habitude lorsqu’on déterre une plante  on obtient un ou deux kilos de pommes de terre. Mais cette année pas plus de 150 grammes après avoir déterré quatre plantes » nous explique  Saïdou Baldé paysan dans le district de Kouraba préfecture de Labé.

« Ce que nous accusons ici certainement, ce sont les intrants utilisés : les engrais et les herbicides qui n’ont pas été analysés par rapport au besoin des sols. Le sol peut avoir du phosphore ou bien de l’azote sans être en carence avec d’autres éléments fertilisants.

Nous demandons de l’aide auprès des décideurs,des institutions et des ONG pour la prochaine campagne agricole 2018. D’emmener des intrants par rapport aux besoins des sols  que nous exploitons.  Ici nous avons 45 hectares, Il y a plus de 15 ans nous produisons plus de 250 tonnes à Kouraba ici. En 2010, 2014, 2015 on exportait 220 à 300 tonnes de pommes de terre à Conakry, en Guinée Bissau et au Sénégal. Aujourd’hui rien, les champs sont vides. Une très grande perte surtout pour les femmes. Elles produisaient plus que les hommes, cette fois ci c’est le contraire» a déclaré Mamadou Kouraba, paysan.

Accusé par les agriculteurs de négligence le directeur du Senasol (Service national des sols) évoque  pour sa part  le manque d’encadrement des paysans et le dysfonctionnement de certains services techniques du département en charge de l’agriculture: «Les gens utilisent l’engrais à tue-tête. Ils ne savent pas si leur sol est fertile ou pas fertile. Tout le monde utilise comme il veut. On ne choisit pas le type d’engrais, il n’ y a pas de formule, absolument rien. On n’entend seulement il faut utiliser trois sacs il faut utiliser deux sacs etc… Mais pour quel rendement ? Il n’y a pas d’analyse d’utilisation de l’engrais. On doit toujours partir des résultats d’analyse du sol, ce qui n’a pas été fait. Il faut une collaboration de beaucoup de services techniques. Il y a la recherche agronomique, quand nous nous donnons des formules c’est la recherche scientifique qui valide ces résultats. Ensuite c’est la vulgarisation qui vient auprès des paysans pour leur parler de l’itinéraire technique : quelle est la meilleure, quel est le rendement escompté et en fonction de ces rendements quelle quantité d’engrais faut-il à l’hectare ? C’est le rôle du conseiller agricole. Nous nous donnons les fiches techniques à la vulgarisation. C’est la vulgarisation qui doit être à côté des producteurs pour leur dire réellement quand et comment il faut utiliser les intrants. Cette année il faut reconnaitre que la majorité des services techniques n’ont pas bien fonctionné ».

Pour minimiser ce problème qui affecte des centaines de groupements en Haute et en Moyenne Guinée, le nouveau ministre de l’agriculture par intérim et Secrétaire général à la présidence de la République, Naby Youssouf Kiridi Bangoura affirme sur une radio locale à Conakry que sur 100 paysans seulement une dizaine ont été affectés par cette crise des engrais. Pour cet ancien ministre de Lansana Conté, ce problème ponctuel est lié : « cette année soit à l’aménagement soit, au retard de démarrage des semis soit, à la mauvaise utilisation des intrants » malgré la présence de l’Institut de Recherche Agronomique de Guinée le ministre de l’Agriculture ne maitrise toujours pas les causes de cette maladie qui a affecté beaucoup plus les groupements de femmes.

C’est le cas du groupement des femmes pour le développement des agriculteurs de Kouraba (Labé) : « Nous, notre activité c’est l’agriculture. L’année dernière nous avons cultivé mais on a perdu la totalité de nos cultures. C’était la seule ressource financière pour faire face à nos dépenses quotidiennes, dont la scolarité de nos enfants. Aujourd’hui nos inquiétudes sont grandes : comment envoyer les enfants à l’école, comment avoir à manger. Les autorités avaient dépêchés des émissaires, ce qui nous a procuré de l’espoir, mais hélas, aucune suite favorable. Nous demandons de l’assistance pour nous sortir de cette situation ». A lancé ce cri de détresse Aïssatou Kouraba présidente d’un groupement de femmes  à Kouraba, un district situé à une vingtaine de kilomètres de la Préfecture Labé.

Le vendredi 8 mai 2016 le gouvernement guinéen et malien ont inauguré la première usine d’engrais de la filiale du Groupe Toguna  à Kénèndé dans la préfecture de Dubréka. Situé à une quarantaine de Kilomètre de Conakry. « Grâce à cette usine, le plus petit  paysan de la Guinée peut s’approvisionner en engrais de qualité, sans avoir à subir les caprices  des importateurs » dixit le président Alpha Condé.

Quelques mois plus tard, en février 2017 l’Office Chérifien des Phosphate et la République de Guinée signent un partenariat d’approvisionnement en engrais phosphatés de 100 000 tonnes pour 2017.

Malgré les liens séculaires entre la Guinée et le Mali, malgré l’investissement de 5 millions de dollars pour construire cette usine sur le sol guinéen, malgré les relations entre le président malien Ibrahima Aboubacar Keïta et Alpha Condé (socialistes), l’axe Rabat Conakry a pris le dessus sur l’axe Conakry Bamako.

Le Maroc livre les 100 000 tonnes d’engrais dont 20.000 en don.  Cent mille tonnes, c’est donc la quantité d’engrais mise à disposition des paysans cette année.  Enorme  pour un pays  qui peine à utiliser 20.000 tonnes par an. A travers  cette grande opération, le gouvernement guinéen entendait réaffirmer sa volonté d’atteindre vite  l’autosuffisance alimentaire, une promesse de campagne du président de la république Alpha Condé.

Malheureusement pour la population guinéenne en générale et les paysans de la Haute et de la Moyenne Guinée en particulier, ce sont des engrais de mauvaise qualité qui n’ont pas été analysés par les agents du Senasol.

Autre conséquence, l’usine Toguna Guinée ne peut plus produire et écouler ses engrais auprès des paysans de Guinée. L’entreprise a été fermée.

Même si les responsabilités restent encore à établir, on fait le constat que la campagne agricole 2017 se solde par des pertes importantes pour les agriculteurs et aussi des emplois perdus suite à la fermeture de Toguna Guinée.

Mohamed Bah

contact@guineeactuelle.com

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