Etat civil guinéen : un problème sans solution

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La Guinée est l’un des pays où l’Etat civil est quasi-inexistant ou mal tenu, cela depuis l’indépendance. Il n’est pas informatisé, mal archivé et les citoyens ne déclarent peu ou pas du tout les naissances, mariages et décès. Tout un défi pour l’Etat guinéen.

L’Etat civil est selon Monsieur Aliou Souaré, chef service adjoint de l’Etat civil de la commune de Ratoma, un service public qui permet d’identifier les personnes, les naissances, les mariages, les décès, les faits qui marquent leurs existences. Cela se matérialise par un acte d’Etat civil. S’il est en difficulté, ce n’est pas récent dit-il.

« Les problèmes de l’Etat civil sont hérités du premier régime. Pendant ce temps, il était détenu par des maires qui n’avaient aucune formation en administration civile. Les actes n’étaient pas codifiés, les archives n’étaient pas centralisées. Ils ne permettaient pas de tracer, conserver les actes, alors que la loi dit, par exemple un acte de naissance doit être conservé pendant 100 ans », explique M. Souaré.

Le développement d’un pays se fait sur la base de l’Etat civil, en fonction duquel l’Etat projette les infrastructures routières, énergétiques, sanitaires, indique le chef adjoint de l’Etat civil de la commune de Ratoma.

« Si vous entendez les conflits à la CENI sur le fichier électoral, si l’Etat civil était bien tenu, on avait qu’à ajouter tous ceux ayant eu 18 ans », ajoute-t-il.

Obstacles

Les problèmes de l’Etat civil guinéen se résument à trois et à chaque problème, les officiers de l’Etat civil s’efforcent à trouver une alternative. Il y a l’analphabétisme de la population. D’ailleurs, selon le classement 2020 du site wordpopulationrevew.com, en Guinée le taux d’alphabétisation est de 30,40%, c’est dire que dans notre pays 7 adultes sur 10 ne savent ni lire ni écrire.

M. Souaré explique qu’il y a des animateurs au niveau local qui sensibilisent les gens sur l’importance de déclarer les naissances, mariages et décès.

« Mais les gens ne déclarent pas. Ils attendent qu’il y ait besoin de voyager, d’aller à l’école sinon, ils ne pensent pas à obtenir les actes de naissances ou de décès, de mariage. Il faut une sensibilisation à outrance pour que l’Etat civil soit une priorité nationale. Même pour être candidat à une élection présidentielle, la première pièce qu’on demande est l’acte de naissance. Si chacun néglige, où allons-nous», s’interroge M. Souaré

Le Code civil guinéen oblige à quiconque qui assiste à un accouchement de le déclarer dans deux mois maximum. Le même délai pour déclarer un décès. En 2019, explique M. Souaré, l’Etat civil de Ratoma a enregistré 13 000 naissances, et depuis janvier 2020, c’est 8 000 naissances déclarés.

« Avec nos partenaires comme l’Unicef, nous avons sensibilisé au niveau des structures sanitaires. Cela nous aide beaucoup, il y a moins de déperdition » se félicite-t-il, avant de faire savoir que pour la même période la commune de Ratoma a enregistré près de 4 000 régularisations, (jugements supplétifs).

Parlant de la conservation des actes, le chef service adjoint de l’Etat civil de la commune de Ratoma indique que l’archivage demeure un grand problème en Guinée.

« Vers les années 2003 et 2004, on avait réussi à informatiser les actes dans d’autres centres, avec les mouvements sociaux, beaucoup ont été détruites », regrette M. Souaré.

Cependant, la nouvelle cheffe service de l’Etat civil a depuis janvier 2019, réussi à numériser les actes, du moins provisoirement.

« Nous avons pu numériser les actes, si tu donnes le numéro d’enregistrement on l’introduit, l’acte va sortir. Nous avons les actes sur une carte mémoire. Il y a la version papier, mais nous les avons aussi sur un support USB », a révélé Aliou Souaré.

Pour qui connait l’informatisation, une clé USB est loin de faire l’affaire, elle peut être corrompue à tout moment, un virus pourrait tout avaler sans possibilité de récupération. Pour numériser les archives, la commune nécessite d’un serveur pour les sauvegarder sur un support virtuel comme le cloud.

En attendant une informatisation pour de vrai, la Direction nationale des archives a mis une équipe à disposition de l’Etat civil qui a classifié les actes des 10 dernières années, par nature, par année ou par mois. Puis, elle a promis des outils de numérisation.

Autre souci que l’Etat civil guinéen reste confronté, M. Souaré évoque l’existence des faussaires qui inondent la vie civile de faux actes, en imitant l’officier de l’Etat civil ou les juges.

« Ils sont partout les faussaires. Et si les victimes sont rattrapées du fait de ces faux documents, ils reviennent à la commune de dire que c’est là qu’ils ont fait faire leurs actes », dénonce-t-il avant de préciser : « nous, nous connaissons les codes de toutes les préfectures ou communes, dès qu’on voit un acte, on détecte s’il est vrai ou faux. Pendant ce temps, ils ont fait un passeport et d’autres documents avec ces faux actes, ils nous mettent dans des positions difficiles ».

Solutions à deux balles

Si les problèmes sont identifiés, il n’y a plus qu’à les solutionner. Mais, ce n’est pas gagné pour autant. L’Etat civil guinéen doit être sécurisé, informatisé, mais reste à l’image de la gouvernance globale.

« Nous demandons à l’Etat de moderniser l’Etat civil, en nous donnant des moyens informatiques et de prise en charge. Nous travaillons du lundi au lundi, nous n’avons pas de samedi ou dimanche, nous accorder au moins une prime spéciale. Parce que ce sont des heures supplémentaires. Avant tout, nous faisons un service social, on néglige beaucoup le coté économique », plaide M. Aliou Souaré.

En 2018, le ministère de l’Administration du territoire, à travers la Direction nationale de l’Etat Civil a commencé à mettre en œuvre un projet de sécurisation des registres de l’Etat Civil avec l’appui technique et financier de l’Union Européenne et de l’Unicef. Le ministre Bouréma Condé avait reconnu lors de la remise du registre que les faux actes décrédibilisent l’Etat.

« Le goulot d’étranglement qui entrave la bonne tenue du système de l’Etat Civil est la prolifération de registres d’état civil non-conformes aux standards internationaux, qui altère la qualité des actes et disqualifie la crédibilité de l’État. Nous recevons de toutes les ambassades et consulats à Conakry, des lots importants de papiers que l’on nous demande d’authentifier », avait reconnu le ministère de l’Administration du territoire.

Ce nouveau registre comportant quatre niveaux de sécurité devait entrer en vigueur en juin 2018 à partir de Nzérékoré. Il y a d’autres projets avec les malaisiens et les belges, mais cela ne suffit pas, l’implication de l’Etat, pour de vrai, est indispensable. Lors d’un forum économique tenu à Conakry, Carlos Lopez, professeur à l’Université du Cap, ancien secrétaire exécutif de la commission économique des Nations-Unies pour l’Afrique avait dit : « pour qu’un pays se développe, il doit maitriser son Etat civil ».

Une parole d’expert qui résume tout.

Hafia Diallo

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