Editorial: réouverture des classes en ce temps de coronavirus, s’achemine-t-on vers une énième crise en guinée ?

Publicité

A nnoncée solennellement par le Chef de l’Etat le 15 Juin et confirmée, 10 jours après (25 juin 2020), par les ministères en charge du système éducatif, les élèves et étudiants de Guinée devront, dès ce lundi 29 juin 2020, amorcer progressivement, sauf à ne pas respecter les conditionnalités exigées à cet effet, le processus de reprise des cours dans les établissements d’enseignements scolaires du pays.

Des collégiens en situation de classe

Politiques, société civile, parents d’élèves, élèves, enseignants, syndicats d’enseignants, situation socioéconomique morose, tous s’enchevêtrent sous la fine pellicule de la précarité qui rime avec le quotidien du guinéen lambda. Pour autant, devrait-on signer forfait et faire appel à l’année blanche tant redoutée ? Devrait-on ignorer le niveau d’impréparation de l’école guinéenne face aux mesures exigées ? Quid des priorités des responsables d’écoles privées assaillis par l’association des enseignants évoluant en leur sein ? Pourrait-on oublier les représailles d’Aboubacar Soumah, l’homme des huit-millions ?

Aboubacar Soumah, leader du SLECG

Une reprise au rythme du Coronavirus qui a endeuillé 31 familles guinéennes

ANSS mis à jour du 28 juin 2020
ANSS mis à jour du 28 juin 2020

 «… Les classes d’examen de l’enseignement primaire et secondaire ainsi que les universités seront recouvertes à partir du Lundi 29 juin 2020. Cette reprise des cours sera subordonnée à la présentation par les Ministères concernés d’un plan détaillé portant sur les mesures suivantes : le respect de la distanciation sociale au sein des établissements, la prise systématique de température à l’entrée et à la sortie, le lavage systématique des mains à l’entrée et à la sortie des établissements, le port obligatoire des masques y compris par les enseignants, un programme ordonné de rentrée des classes…», annonçait le Président Alpha Condé, dans son discours à la Nation du 22 juin 2020.

Allégement des mesures restrictives : réouverture des lieux de culte à partir du 22 juin dans certaines préfectures (discours intégral)

Relativement aux injonctions du Chef de l’Etat, les ministères en charge du système éducatif ont défini en concertation avec l’ensemble des acteurs et partenaires du secteur, un plan de réouverture en deux phases comme suit :

« Phase I : à partir du 29 juin 2020, les classes d’examen de l’enseignement primaire et secondaire (CM2, 10ème année, Terminale) ; les classes en fin de cycle de l’enseignement technique et professionnelle (2ème et 3ème années pour les Ecoles Normales d’Instituteurs (ENI), 3ème année pour tous les autres types d’écoles professionnelles) ; les classes en fin de cycle pour l’enseignement supérieur (L3 pour les licences fondamentales, L4 pour les licences professionnelles, 5ème année pour les cycles de 5 ans, 6ème pour la faculté des sciences et techniques de la Santé…», a indiqué le communiqué des départements concernés.

« La Phase II, à partir de septembre 2020, tous les élèves, apprenants et étudiants non concernés par la phase I, seront invités à reprendre les cours selon le calendrier défini par chaque ministère » précise le même communiqué.

Voilà l’arsenal du dispositif établi par l’exécutif guinéen. A en croire à ce dispositif, il ne serait pas sot de penser que le pouvoir de Conakry tient les gouvernails et mesure la portée de ses décisions. Mais quid des réalités sous-jacentes et des enjeux qui siéent à la question de l’école guinéenne?

L’éducation guinéenne, un pavé dans la mare

Cette année scolaire qu’on espérait voir se dérouler dans de meilleures conditions, aura été l’année de toutes les perturbations. Tout a commencé par le glissement de l’ouverture des classes qui était prévue initialement en septembre 2019. Cette ouverture ne se tiendra finalement qu’en octobre.

Le 3 octobre 2019, les élèves ont repris le chemin de l’école. Un début qui a vite été stoppé. Car la grève des enseignants du SLECG, lancée dès le 9 octobre, et les manifestations politiques du FNDC (front national pour la défense de la Constitution), amorcées à partir du 14 octobre, auront eu raison de lui. Des événements qui n’ont guère laissé de chance au bon déroulement des cours dans les établissements d’enseignements du pays.

Manifestants-brûlent-des-pneus-à-Conakry-le-14-octobre-2019 (crédit photo Google)
Manifestants-brûlent-des-pneus-à-Conakry-le-14-octobre-2019 (crédit photo )

Pire, entre décembre à mars 2020, le système éducatif, dans son entièreté, paiera les frais de la campagne politique du double scrutin violemment contesté dans le pays. En sus de l’officialisation du premier cas de coronavirus en Guinée, à partir du 12 mars. En conséquence, élèves, étudiants, apprenants et enseignants ont été contraints d’observer des congés forcés. Autant de facteurs qui ont occasionné l’arrêt systématique des cours, d’où le choc d’un idéal perdu, pour sauver une année au cours de laquelle on aura tout vu. Certains observateurs sont allés jusqu’à présager une année blanche. Le rythme d’un apprentissage faussé, le dynamisme attendu n’a été au rendez-vous.

Crise scolaire, la crise de trop ?

Niouma-Sory-Syndicat-enseignant

« Nos revendications ne se limitent pas seulement aux mois impayés.  Nous voulons dans cette grève que nous déclencherons à partir du 29 juin à 7h du matin que l’année prochaine, qu’il ait d’abord 100% d’augmentation du taux horaire dans toutes les écoles privées, nous exigeons l’immatriculation des enseignants du privé à la Caisse Nationale de la sécurité sociale, nous exigeons aussi que le syndicat soit représenté dans tout le pays », lançait Niouma Sory Léno, syndicaliste, à la faveur de l’annonce du président Condé.

Au pays d’Alpha Condé, les crises font partie intégrante du quotidien. Tout semble être fait pour les créer et les entretenir. Nous nous faisons avec. Sans elles, le fonctionnement régulier de l’administration paraitrait irrégulier, c’est du moins la perception que nous avons.

Autrement, comment pourrait-on, dans un Etat sérieux, penser à rouvrir les classes sans au préalable régler les problèmes sous-jacents. Etant entendu que l’Etat guinéen alloue à l’ensemble du système éducatif, tout niveau confondu, un budget qui flirte autour de 15% depuis près d’une décennie. Sans compter le fait que les établissements privés ne bénéficient nullement de subvention de la part de l’Etat, encore moins les enseignants du privé d’ailleurs, même en cette période pandémique. C’est autant dire que le système éducatif guinéen va droit vers un mur. Adieu quant au niveau des apprenants.

« Je ne suis pas sûr que l’ouverture des classes sera effective ce lundi. Parce que l’Etat nous a donné aucun kit de protection, et la plupart des établissements n’en sont pas dotés. D’ailleurs, faudrait-il faire face à la gronde de nos enseignants qui s’annoncera dès ce lundi, ou plutôt financer les kits ? Vous voyez monsieur. Si les écoles privées étaient subventionnées ou que l’Etat fasse un geste avant la reprise pour nous appuyer, ça aurait été plus facile pour nous. Mais voyez par vous-même», se plaignait un responsable d’une école se trouvant à Kipé Dadia, commune de Ratoma, banlieue de Conakry.

En sus de ces faits, le coût du transport à Conakry, avec le double frais par passager, Covid19 oblige, pourrait être un élément catalyseur de la crise sociale qui s’annonce. Qu’a fait le gouvernement pour soutenir les parents d’élèves, apprenants, enseignants, déjà au bord du gouffre ? Absolument rien.

En attendant d’observer les premiers jours de la rentrée des classes, sous la houlette du dispositif établi par le gouvernement, tout porte à croire que cette énième crise qui attend le système éducatif guinéen, dans les prochains jours, viendra aussi s’enchevêtrer à ce complexe de crises hétérogènes qui gangrène le pays du Nimba.

 CHERIF HAIDARA

Publicité