Couvre-feu et racket à conakry: l’omerta autour d’un sujet problématique ? (reportage)

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La mobilité des ‘’nuitards’’  devient de plus en plus difficile en cette fin d’année 2020 avec les restrictions prises par les autorités du pays dans le cadre de la lutte contre la maladie à Coronavirus. Entre rackets, intimidations, trafics d’influence, pots-de-vin et abandon des mesures barrières, tout va de manière tout azimut dès que minuit pointe à Conakry.

Quelques jours après le premier cas du Covid19 en Guinée, le locataire de Sékhoutoureyah avait pris un acte le lundi 30 mars 2020 pour décréter le couvre-feu, de 21h à 5h du matin sur toute l’étendue du territoire national, assorti d’une batterie de restrictions condensées dans ce qui, formellement, deviendra par la suite ‘’l’état d’urgence sanitaire’’.

Cet état d’urgence sera renouvelé de manière systématique par les députés issus du double scrutin du 22 mars dernier jusqu’en ce mois de décembre 2020, quand bien même, il ne serait pas exagéré de faire remarquer, relativement au mécontentement du peuple et des groupements professionnels (propriétaires des boites de nuit, hôtels, motels, bars, restaurants, maquis, dirigeants de clubs sportifs, bref du secteur économique privé, ndlr) que des allègements notoires y ont été apportés à partir de septembre 2020.

Ces allègements ont pour l’essentiel consisté à la réduction du couvre-feu de 21h à 4h, à la limitation de la ceinture des restrictions autour du grand Conakry, au rétablissement du transport en commun, à la réouverture des lieux de divertissement ainsi qu’au réaménagement du calendrier sportif du pays.

Officiellement, voilà le contexte réel qui sous-tendait l’établissement du couvre-feu à Conakry. Sauf que dans la pratique, en lieu et place de l’interdiction de circuler les nuits, c’est le permis de racketter qui a tendance plutôt à s’institutionnaliser.

Une situation incomprise des citoyens

Interrogé par nos soins, Mohamed Thiam, chauffeur de taxi, indique ne pas ‘’ vraiment’’ comprendre l’opportunité du couvre-feu car, d’autant plus que ‘’personne ne respecte plus rien en Guinée’’.

« Regardez, moi je ne comprends pas pourquoi on continue le couvre-feu en Guinée. Parce que tout le monde sort la nuit comme s’il n’y avait rien. Je conduis une voiture qui ne m’appartient pas. Je suis obligé de déposer une recette à ma patronne et de trouver comment nourrir ma famille de sept personnes et que malgré tout ça des policiers sortent à 0h et nous prennent le peu qu’on a. Or, c’est justement le travail de nuit qui complétait celui du jour. Ce sont ces deux recettes qui me permettaient de joindre les deux bouts», explique-t-il, affirmant que ‘’cette maladie est une création des blancs et nos autorités en profitent pour nous détruire’’.

« Sinon, regardez, hier (jeudi ndlr) on a ouvert la foire, il y avait des milliers de personnes là-bas et nul ne portait des masques ou ne faisait quoi que ce soit d’ailleurs. Personne ne respecte rien en Guinée, alors pourquoi, nous autres, devons payer ce que personne ne paie ? Ce sont des conneries, tout ça c’est politique », fustigMohamed Thiam très en colère.

Quelques heures plutôt, soit minuit passé, nous rendîmes à Kobaya, commune de Ratoma, pour rencontrer Maxime, un body gars travaillant dans une boite de la place. Devant notre micro, cet autre nuitard nous confit ne pas comprendre que malgré la réouverture des boites de nuit, les hommes en uniforme s’évertuent à investir leur business pour procéder à des rackets et à des intimidations.

« Je ne comprends vraiment rien dans ce pays, c’est le président lui-même qui a décrété qu’on ouvre les boites de nuit, restau et tout… après les militaires viennent nous agresser à l’intérieur de notre lieu de travail, nous créent des faux problèmes qu’ils monnayent en prenant notre recette du jour. Nous vivons dans quel pays même han ? Il faut au moins respecter les mesures du commandant en Chef des forces armées ou bien ? N’importe quoi », s’insurge-t-il.

Des rackets à ciel ouvert

De Lambagny à Kipé, en passant par Nongo, des quartiers de la haute banlieue de Conakry, nous avons dénombré en moyenne une vingtaine de barrages, conventionnels ou peut-être pas. D’après plusieurs personnes interrogées, à chaque barrage, les agents qui y sont postés font payer aux motards entre cinq mille et dix mille francs guinéens aux motards alors ceux qui détiennent les véhicules sont sommés de payer entre 35 mille et 50 mille GNF.

« Vous savez, moi je suis étudiant, je vais à la fac deux fois par jour. Mes parents habitent à l’intérieur du pays, ils n’ont rien et moi non plus je n’ai pas les moyens de m’acheter une moto. Je profite du repos de mon pote, pour prendre sa moto et trouver de quoi vivre. Donc quand mes clientes m’appellent pour les accompagner quelque part, je paie entre 5000 à 10 000 GNF par barrage. C’est difficile mais ce sont elles qui paient quand-même »,  raconte ESS, un jeune étudiant contraint de faire ce boulot la nuit pour joindre les deux bouts.

Et cet étudiant d’ajouter : ‘’ nous sommes en décembre, c’est la fin d’année et ça va continuer comme ça  jusqu’au début de janvier. Les policiers connaissent ça. Eux aussi, en plus des barrages qui existaient avant, ils ont inventé des barrages à l’intérieur des quartiers, tous les petits ou grands raccourcis sont bloqués maintenant. Par exemple, en quittant Lambagny centre commercial pour Kipé, nous dévions la route à partir du stade. Mais, à chaque carrefour, même dans le profond quartier, ils ont des barrages partout. Parfois, d’ici Kipé, moi et mes clientes on peut payer jusqu’à 50 000 seulement pour passer ces foutus barrages à l’aller. Vous voyez ? Où va tout cet argent si ce n’est pas dans la poche des policiers hein ? C’est très malhonnête quand tout ça!’’.

Omerta sur la destination du magot amassé

Justement, le questionnement fait par cet étudiant –taxi motard de nuit a déterminé une bonne partie de notre quête. C’est ce qui nous a conduits vers les autorités avant de finir par nous buter à ce qui, selon toute vraisemblance, ferait penser à l’existence d’un système racket relativement bien huilé par des quidams.

A la direction générale de la Police

Comme le dit l’adage ‘’si tu veux arrêter la guerre, trouve à qui elle profite le plus’’. Les interrogations faites par ce motard de l’axe Lambagny-Kipé nous ont dirigé tout droit au service du Général Baffoé, directeur général de la Police.

Après moult échecs en vue d’une entrevue, nous nous sommes finalement résolus à effectuer l’entretien par téléphone. Joint par notre rédaction, l’ancien patron des forces d’intervention mobile nous a vertement signifié ne pas être la bonne personne pour discuter de ce sujet, car selon ses propres termes, ce dossier relève davantage de l’armée que des services de sécurité.

« Les barrages nocturnes ne sont pas du ressort de la police, il faut voir ça du côté du l’armée. Le commandement opérationnel de tout ce qui touche au couvre-feu et à l’état d’urgence sont du ressort de l’armée et non des services de sécurité » a-t-il indiqué, sans trop de commentaires d’ailleurs.

Au niveau du département en charge des forces armées guinéennes,  ministère de la défense, situé dans la presqu’ile de Kaloum, centre administratif et des affaires,  on nous a orientés vers le chargé de la Communication et des Relations Publiques au sein de la grande muette.

Joint par téléphone également,  Aladji Cellou Camara, a commencé par rappeler qu’il est de la discrétion de l’autorité de créer des barrages partout où il estimait nécessaire.

« Qui vous a dit que ces barrages sont non-conventionnels ? Une nuit comme ça, nous nous sommes peut-être réveillés et on a vu des barrages partout. Ce n’est pas nous, population, qui avons décidé de mettre un barrage sur un point A, un point B, et un point C, ce n’est pas nous. Donc, si les services de sécurité estiment qu’un barrage est nécessaire à tel endroit, c’est à leur discrétion. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de ligne figée la nuit. Les forces de Défense et de Sécurité, en fonction des renseignements qu’ils ont, agissent conséquemment. Parfois, ils n’ont même pas besoin de demander l’autorisation de quelqu’un parce que c’est leur boulot. Ce sont eux qui sont sur le terrain. Ils savent où se trouve une menace ou une raison déterminée qui demande à ce qu’un barrage où un check point soit érigé à tel ou tel endroit du territoire », explique Aladji Cellou qui reste évasif sur la question des rackets contre les  citoyens soulevée par notre reporter.

« Ça, c’est un autre problème. Vous touchez maintenant au nœud du problème. Alors est-ce que ces barrages servent ? Ça c’est la grosse question », rétorque-t-il.

« Vous savez, moi je ne suis pas à un niveau où on me rend des comptes aujourd’hui. Je ne suis pas dans une responsabilité où les services chargés de la sécurité de Conakry me rendent compte. Ils rendent des comptes à un autre niveau. C’est à se demander, est-ce que les autorités qui ont déployé ces forces dans différents endroits de Conakry sont satisfaites de ce que les forces déployées la nuit font ? Est-ce qu’il y a la sécurité ? Ça c’est une appréciation qui appartient à ces autorités. Ce n’est pas à moi d’apprécier ça. En plus, il y a plusieurs forces, ce sont des forces mixtes qui travaillent ensemble. Mais tout ce qui est sécuritaire, je n’apprécie pas, je ne commente pas parce que c’est en dehors de mes compétences », coupe court Aladji Cellou Camara à propos du magot amassé ainsi que de la pagaille rapportée sur les barrages nocturnes.

Toutefois, ce responsable des relations publiques des forces armées guinéennes nous a indiqué faire ce qui serait nécessaire au moment où les faits auront été documentés.

Interrogé sur l’existence des barrages non conventionnels à Conakry, un homme en uniforme ne nie pas cette éventualité. Car, dit-il, des hommes en uniforme peuvent créer ces barrages dans le but de racketter les nuitards.

« Mais ce qui est sûr, il est interdit de circuler dans l’intervalle de 0h à 4h. Sauf si vous avez un laisser-passer. A défaut, vous payez le lever de barrage. Maintenant, pour ce qui concerne les barrages que vous appelez non conventionnels, connaissant mon pays, oui il y a de fortes chances qu’ils existent. Si vous les voyez, veuillez me passer l’info. Car, c’est du banditisme caractérisé », indique-t-il sous le sceau de l’anonymat.

Barrages conventionnels ou non, les raisons officielles qui ont sous-tendu la mise en place de ceux-ci n’existent plus dans les faits, car les conakrykas abonnés aux activités de nuit continuent à sortir, non sans conséquence, il faut le préciser.

Quand certains, au sacrifice de leurs maigres bourses, pratiquent leurs activités de nuit continuellement, d’autres en profitent et se frayent une nouvelle porte pour racketter de paisibles nuitards qui, pourtant vivent de leur quotidien.

A présent, il reste à interroger la pertinence du couvre-feu dans le grand Conakry lorqu’on sait que les conakrykas sortent plus aujourd’hui qu’hier, surtout en ces périodes de fête de fin d’année. L’autorité compétente est désormais alertée.

CHERIF HAÏDARA

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