Cour constitutionnelle : qui, du président ou des commissaires ont violé leur serment ? analyse du juriste consultant saikou yaya diallo

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C onnu pour sa position tranchée contre un éventuel troisième mandat pour le président Alpha Condé, un arrêt destituant le président de la Cour Constitutionnelle Monsieur Kelefa Sall par ses paires à la tête de ladite institution pour opacité dans la gestion des ressources financières de l’institution vient d’être pris, ils invoquent l’empêchement définitif de ce dernier comme motif de la destitution au mépris de la procédure prévue à cet effet.

Vu la polémique que cette situation a suscitée au sein de l’opinion publique guinéenne, il y a lieu de se poser la question de savoir : est-ce qu’un groupe de conseillers à la Cour Constitutionnelle peuvent destituer leur président, que dit la loi en l’espèce ?

Avant de répondre à cette question, il est important de rappeler la logique qui a prévalu dans le pays avant la prise de cet acte par les commissaires de la Cour constitutionnelle qui, il faut le dire n’est pas le moindre dans la vie sociopolitique du pays et qui constitue une menace grave pour la jeune démocratie.

En effet, après l’élection présidentielle de 2010, la Guinée tirant les leçons des récents événements douloureux de 2007 et 2009 et de la mal gouvernance qu’elle a connue, était prédestinée à être un pays émergent soutenu par la construction d’un véritable État de droit et d’une économie très solide, avec l’élection du président Alpha Condé qui a le mérite de n’avoir jusque-là jamais été associé à la gestion des affaires publiques et qui jouit d’une crédibilité internationale à cause de son carnet d’adresses.

Mais il est regrettable de constater que cet espoir s’est vite estompé, car le nouveau président de la République s’est montré hostile au respect des lois dès son entrée en fonction et s’est comporté comme un véritable patriarche qui confond son pays à sa propre famille, en se croyant au-dessus des lois qu’il n’est pas obligé de respecter. Ses déclarations et ses choix basés sur des considérations ethniques et régionalistes, dans ses discours et dans la mise en place de son gouvernement, et la nomination aux hautes fonctions administratives et militaires en violation de l’article 4 de la constitution en sont une parfaite illustration. À cela, s’ajoute la participation du président de la République aux Assemblées générales de son parti le RPG-Arc-en-ciel en toute violation de l’art 38 de la constitution, nous pouvons affirmer sans risque de se tromper qu’il a, par plusieurs fois violer son serment.

En plus de sa mission de donner une nouvelle orientation au pays, le président de la République avait pour mission prioritaire de parachever la transition en mettant en place les institutions républicaines prévues par la constitution du 7 Mai 2010, notamment l’Assemblée nationale ; la Cour Suprême ; la Cour Constitutionnelle ; la Haute Autorité de la Communication ; l’Institution Nationale Indépendante des Droits de l’Homme, le Conseil Économique Social ; le Médiateur de la République ; la Haute Cour de la Justice ; la Commission Nationale Électorale Indépendante, la Cour des Comptes, etc. Bien que la plupart d’entre elles soient mises en place avec toutes les difficultés que cela a engendrées, il est dommage de constater que le président de la République s’est toujours évertué à inféoder ces institutions à son seul pouvoir, soit en mettant des hommes acquis à sa cause à leur tête ou en sevrant ces dernières de leurs budgets pourtant approuvés par les députés habilités à le faire, sans motif valable. Alors que celles-ci ont pour vocation de garantir l’ancrage démocratique en créant l’équilibre des pouvoirs, du fait de l’esprit militant de leurs responsables, elles ne servent malheureusement qu’à engloutir des faramineux budgets prélevés sur le dos des pauvres contribuables. D’ailleurs, la Haute Cour de Justice peine encore à se mettre en place après huit (8) ans de gouvernance, prévue par les articles 117 à 122 de la constitution, elle est en charge de juger le président de la République en cas de parjure et les membres de son gouvernement qui ne sont pas justiciables devant les juridictions ordinaires. Plus que déterminé à protéger leur candidat contre toute forme de défiance, le groupe parlementaire RPG-Arc-en-ciel majoritaire à l’Assemblée nationale est prédisposé à bloquer systématiquement toute initiative allant dans ce sens, malgré toutes les dérives du chef de l’État et de son gouvernement, ces députés vont jusqu’à empêcher la mise en place des commissions d’enquête parlementaires pour mettre la lumière sur les cas de corruption et de détournements des deniers publics avérés ou d’autres questions liées à la gouvernance du pays, cela en toute violation de l’article 70 de la constitution.

C’est pourquoi, il n’y a pas lieu de s’étonner de la situation qui prévaut à la Cour Constitutionnelle, car on se souviendra de la célèbre phrase de son président à l’occasion de l’investiture du chef de l’État lors de sa prestation de serment conformément à l’article 35 de la constitution, suite à son élection pour son second et dernier mandat présidentiel en 2015, je cite : « … gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes… ».

Pour revenir à la question de savoir est ce que les conseillers de la Cour Constitutionnelle sont en droit de destituer leur président ?

Il y a lieu de rappeler tout d’abord, le rôle de cette institution qui est celui de veiller à la conformité des lois et des actes administratifs à la constitution, garantissant ainsi un équilibre institutionnel et juridique dans les rapports entre les institutions républicaines. Prévue par les articles 93 à 106 de la constitution qui définissent ses attributions, sa composition et sa procédure de mise en place, son fonctionnement quant à lui est régit par la loi organique L//06/CNT/2011 qui prévoit la procédure de gestion, le renouvellement de ses membres et la prise de sanction contre tout membre réfractaire. C’est pourquoi, nous avons pris le soin d’analyser un certain nombre de dispositions de cette loi organique qui pourront mieux édifier l’opinion, afin d’écarter toute confusion par rapport à cette brûlante actualité.

Son article 1er précise qu’elle est compétente en matière : constitutionnelle, référendaire, électorale et des libertés et droits fondamentaux. Elle juge de la constitutionnalité des lois, du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et des autres organes créés par la constitution, des Ordonnances du président de la République, ainsi que de la conformité des traités et accords internationaux à la constitution. Au regard de son importance, on est tenté de dire que la Cour Constitutionnelle est « une véritable digue contre toute dérive institutionnelle et abus de pouvoir’’. C’est pourquoi, toute confusion ou instabilité ne saurait être acceptée en son sein.

L’article 2, définit le nombre (09) et l’âge (45 ans au moins) des commissaires, choisis pour leur moralité. Au regard de cette disposition, ne doit siéger dans cette institution que des personnes ayant au moins 45 ans et une probité morale, mais il est regrettable de constater qu’il y a des commissaires qui n’ont pas l’âge requis et qui ne jouissent pas d’une bonne moralité au sein de l’institution. En guise d’exemple, l’un des commissaires proposés par l’Assemblée nationale n’avait pas l’âge requis, d’ailleurs, ce fut le cas du commissaire qu’elle avait proposé à la Haute Autorité de la Communication, ce qui dénote du manque de sérieux de cette institution qui incarne pourtant la souveraineté du peuple.

L’article 4, rappelle les conditions d’élection du bureau de la cour constitutionnelle, notamment son président et ses paires, qui sont élus pour un mandat non renouvelable de neuf (9) ans. Cependant, les autres membres sont renouvelés au tiers par tirage au sort chaque trois (3) ans, contrairement à ses paires, le président de la cour constitutionnelle n’est pas soumis à cette procédure. L’article 4, rappelle les conditions d’élection du bureau de la cour constitutionnelle, notamment son président et ses paires, qui sont élus pour un mandat non renouvelable de neuf (9) ans. D’ailleurs, le dernier alinéa de cet article précise qu’en cas de décès ou d’empêchement définitif d’un membre, son remplacement sera effectué dans un délai d’un mois dans les mêmes conditions de forme et de fond.

L’article 5, quant à lui précise que les membres de la cour constitutionnelle sont inamovibles pendant leur mandat, sauf en cas de flagrant délit, c’est-à-dire qu’on ne peut pas les destituer. Son dernier alinéa, dit qu’en cas de crimes ou délits, ses membres ne sont justiciables que devant la Cour Suprême. Mais les commissaires de la Cour Constitutionnelle ont préféré introduire une ‘’ motion de défiance ‘’ contre leur président auprès de l’Assemble Nationale, alors qu’elle n’est pas compétente en l’espèce, ce qui paraît stupide et ridicule aux yeux de l’opinion nationale, pour des personnes qui connaissent suffisamment les lois du pays.

L’article 6, pour sa part oblige tout commissaire avant de siéger à la cour constitutionnelle de prêter serment en ces termes : « je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la constitution et en toute indépendance, de garder le secret de la délibération et des votes et de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence de la cour… ». Il y a lieu d’insister sur la portée de ce serment dans la conduite des affaires de la cour constitutionnelle, ce dernier empêche un commissaire de prendre parti et l’oblige à garder le secret de la délibération histoire de maintenir la cohésion au sein de l’institution, à défaut, le commissaire aura commis un parjure qui peut automatiquement entraîner sa révocation, sans préjudice des sanctions pénales conformément à la loi en vigueur. À l’analyse de cette disposition, au regard du comportement des commissaires de la cour constitutionnelle, on est tenté de se poser la question de savoir : qui, du président de la cour constitutionnelle ou des commissaires ont violé leur serment ? Car selon l’avis unanime des spécialistes, la procédure de destitution n’a pas été respectée, pire elle est suffisamment teintée de prise de position partisane et politicienne selon certaines indiscrétions, même si cela reste à vérifier.

En examinant le motif de l’arrêt destituant le président de la cour constitutionnelle, on se rend compte que : dans sa forme, il n’a pas été consigné au registre du greffe de la cour constitutionnelle, car n’ayant pas été signé par le greffier en chef, c’est ce qui explique d’ailleurs le décalage du numéro d’ordre (N◦001/…/2018), qui ne correspond pas au nombre de décisions prises depuis janvier 2018 qui devrait être N◦004/…/2018, car la cour avait déjà pris d’autres décisions au courant de l’année. Alors que toute décision judiciaire qui n’est pas enregistrée au registre du greffe est censée n’avoir jamais existé, d’où cet arrêt n’existe pas, donc il est nul et de nul effet. D’ailleurs, ce genre de comportement venant de la part des personnes qui, en principe sont les sages auxquels ont fait recours lorsqu’il y a des problèmes liés au respect des lois dans la conduite des institutions républicaines, est non seulement indigne, mais viol la loi pénale en ses articles 585 et suivants qu’on peut qualifier de « faux en écriture publique‘’, ce qui peut entraîner des peines d’emprisonnement et des amendes.

Dans le fond, puisqu’en droit, c’est la forme qui commande le fond (principe sacro-saint), lorsque la forme n’est pas respectée, il n’y a pas lieu d’examiner le fond.

Mais, pour le souci de lever l’équivoque pour les non-juristes, nous allons examiner le fond qui est également non conforme au dernier alinéa de l’article 11, qui stipule que les membres de la cour, sous réserve de l’alinéa 2 de l’article 12, ne peuvent être révoqués ou destitués que pour les seuls motifs de parjure ou de condamnation pour crimes ou délits. Alors que dans l’arrêt destituant leur président, les commissaires ont invoqué comme motif principal  » la gestion opaque des ressources financières de la cour ‘’ et ‘’ la non-exécution des décisions de la cour ‘’. En se fondant sur le premier motif, il y a lieu de rappeler que la juridiction de contrôle a priori et a posteriori des comptes des institutions publiques est la Cour des comptes, qui dispose d’attributions juridictionnelles et consultatives en vertu de l’article 116 de la constitution, à notre connaissance aucun rapport n’a été établi ou décision rendue par cette institution, encore moins une condamnation de la Cour Suprême qui incrimine le président de la cour constitutionnelle. Sur le second motif lié à la non-exécution des décisions de la cour, il faut rappeler que ces dernières sont insusceptibles de recours et sont automatiquement exécutoires dès qu’elles sont prises, d’ailleurs comme le premier, ce motif ne figure dans le serment, donc sa violation ne saurait être qualifiée de parjure.

Donc, au recoupement de toutes ces dispositions susmentionnées, il ressort que l’arrêt destituant le président de la Cour constitutionnelle est nul et de nul effet, car n’ayant pas respecté la procédure et ses motifs sont infondés.

Cependant, il est nécessaire d’attirer l’attention du gouvernement, des partis politiques et de la société civile sur les éventuels risques que la crise au sein d’une institution aussi importante que la Cour constitutionnelle peut faire encourir au pays qui, il faut le souligner est déjà très fragile.

Tout d’abord, nous allons faire la pédagogique de rappeler que la cour constitutionnelle est compétente en matière : constitutionnelle, référendaire, électorale et des libertés et droits fondamentaux, donc considérée comme ‘’ le gouvernail du navire Guinée ‘’ sans lequel la nation va sombrer. Avant d’interpeller tous les acteurs de la vie publique guinéenne de ne pas rester là, les bras croisés en regardant cette situation pourrir, car elle va écorcher tous les sacrifices (pertes en vies humaines pour les élections et financiers) et les acquis démocratiques obtenus par le pays. Enfin, ses conséquences sont multiples, car il n’y aura ni élection (législative et présidentielle), ni loi (organique et budget) adoptée à l’Assemblée nationale, encore moins de décrets ou d’arrêtés pris par le président et son gouvernement (car il n’y aura pas de contrôle de constitutionnalité), ce qui va occasionner une instabilité dans le pays avec toutes les crises sociopolitiques et économiques (contentieux lié aux élections communales, la hausse du prix du carburant, les velléités de troisième mandant, etc.) qu’il traverse. Ce qui va susciter la méfiance des partenaires techniques et financiers et les investisseurs étrangers à aider le pays ou à venir y investir. Bref, nous risquons de tomber dans une transition qui ne dit pas son nom.

Saikou Yaya Diallo

Juriste – consultant ;

Enseignant – chercheur ;

Activiste des Droits de l’homme

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