Conakry : campagne d’assainissement public ou bal des hypocrites ?

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Il y a un fond d’hypocrisie dans cette campagne d’assainissement publique, car à travers, elle, le gouvernement propose une solution virtuelle à un problème réel, tangible qui nargue les citoyens de Conakry et dispute à l’État la souveraineté sur les voies publiques.

Nous savons tous par expérience du passé, que ce n’est pas le curage d’un ou de plusieurs caniveaux qui garantira l’assainissement, cette question est une préoccupation capitale pour les populations guinéennes et celle de Conakry en particulier. Cette campagne est une réponse instantanée, irréfléchie et inadéquate à un problème crucial de santé publique, face à cette double crise de gouvernance locale de la salubrité publique et de déficit de civisme des citoyens, il faut une réflexion claire et profonde de la politique de la ville. Cette situation explosive en saison pluvieuse est la résultante de l’irresponsabilité collective, d’un laxisme gouvernemental. Rien n’est fait pendant la saison sèche, période à laquelle il pouvait y avoir en amont une analyse de la situation et une définition des mesures d’anticipation pour arriver à des résultats probants en aval, c’est-à-dire en saison pluvieuse.

L’état des lieux ne reflète pas les fonds qui ont été alloués à ce secteur ces dernières années par les partenaires au développement. La banque islamique de développement devait tenir une réunion entre juin et juillet de cette année à Djedda pour un financement du secteur à hauteur de 50 millions de dollars, une bouffée d’oxygène pour ce secteur qui absorbe tant de fonds sans résultats visibles. Le volet assainissement des « filets sociaux productifs » initié par l’ancien ministre de la jeunesse Moustapha NAÏTÉ et financer par la banque mondiale à hauteur de 22 millions de dollars, n’a été qu’un gâchis. Cette absence de résultats est due en grande partie au dysfonctionnement des structures, au manque de décharge et de politique d’assainissement claire. Quant au premier partenaire de la Guinée sur ce secteur l’Union européenne, il a validé un financement de 35 millions d’euros au premier trimestre de 2018.

Pour pallier ce manque de résultats, il faut d’abord élaborer une politique structurelle (une sorte de redécoupage administratif) de la ville de Conakry en y incluant Coyah et une grande partie de Dubréka pour que cette ville respire, redéfinir son schéma directeur par une norme et des critères administratifs pérennes, redéfinir les quartiers par une taille viable permettant d’apporter les services sociaux de bases nécessaires à toute vie urbaine. Sur la même lancée, il faudra désenclaver les zones isolées et soumettre leurs autorités à un contrat de performance, mais aussi leurs assigner une mission claire d’identification des foyers, potentiels producteurs de déchets ménagers.

Pour ce qui est de la mise en place du système de ramassage, de transport et traitement proprement dit des déchets, il faudra penser à la création dans chaque quartier d’un point de regroupement et de tri de déchets, interdire la production, la commercialisation et l’utilisation des sachets plastiques, mettre en place les PME de ramassage des ordures et rendre obligatoire l’abonnement des ménages. Pour pérenniser le respect de toutes ses dispositions, la remise sur pied de la police de salubrité sera nécessaire et elle devra être dotée des moyens adéquats. Pour compléter le système, l’État devra promouvoir les entreprises spécialisées dans le transport, le traitement et la transformation des déchets.

Un autre volet important de ce secteur, c’est la gestion des eaux usées, pour y face l’État devra tout d’abord élaborer une stratégie claire et attribuer ce volet à une structure bien définie avec tout ce qui va avec comme moyens humains, techniques et financiers. Et cette structure en collaboration avec les ministères de l’habitat et des travaux publics devra veiller à l’aménagement et à l’entretien des caniveaux ainsi qu’à la mise en place et la gestion de stations de collecte et traitement des eaux usées.

CES CHIFFRES DE DÉMISSION DE L’ÉTAT DE TOUTE POLITIQUE URBAINE

Les données disponibles sur les performances du secteur sont une preuve évidente de la démission de l’État de ce secteur en particulier, mais aussi et surtout de l’échec de toutes les politiques d’urbanisation qui ont été tentées depuis près de 30 ans. S’agissant des ordures ménagères, 80 % des ménages jettent leurs ordures dans la nature en zone rurale, cette proportion atteint 53,6 % en milieu urbain. Par contre la proportion des ménages qui ont recours au ramassage privé ou aux poubelles publiques affiche une baisse non négligeable pour les services de collecte des déchets, seuls 9,8 % des ménages en bénéficient ou utilisent une poubelle publique, et c’est dans les centres urbains que cette pratique se rencontre notamment à Conakry où la moitié des ménages évacuent leurs ordures par des services spécialisés, c’est le cas précis de Kaloum, une partie de Matam et de Dixinn. Les communes de Ratoma et Matoto sont les grands oubliés de l’assainissement à Conakry. L’évacuation salubre des ordures n’est pratiquée que par 6,7% des ménages sur toute l’étendue du territoire national.

À CONAKRY, 80 TONNES D’ORDURES QUOTIDIENNES PRODUITES

Pour un pays où les investissements publics ont suivi les besoins des populations, 80 tonnes quotidiennes d’ordures pour une capitale, c’est du travail pour une ou deux PME. Cependant, dans un pays qui donne l’impression que rien a été fait depuis des lustres, c’est un défi insurmontable, il est donc nécessaire de commencer par les fondamentaux.

Ainsi, pour collecter, transporter et traiter ses tonnages quotidiens d’ordures, Conakry devra sortir le grand jeu non pas en mettant sur pied une structure complexe, mais au contraire en élaborant un schéma complet qui prend en compte tous les aspects du phénomène d’insalubrité.

Ainsi, pour collecter, transporter et traiter ses tonnages quotidiens d’ordures, Conakry devra sortir le grand jeu non pas en mettant sur pied une structure complexe, mais au contraire en élaborant un schéma complet qui prend en compte tous les aspects du phénomène d’insalubrité. 

Il sera alors nécessaire de doter chaque quartier d’une PME (ce qui pourrait de passage résoudre un tant soit peu l’épineux problème du chômage des jeunes) et des points de regroupement bien aménagés. Assurer un contrôle strict du respect du cahier des charges par les PME et sanctionner avec fermeté les manquements et autres indélicatesses, faire participer les élus locaux à la promotion des abonnements et au recouvrement des payements des ménages, placer à chaque coin de rue ainsi que dans tous les espaces publics des poubelles et sensibiliser les populations à leur utilisation. Enfin, mettre en place un système rigoureux de suivi et de gestion financière des recettes engrangées par les PME et des subventions publiques accordées au secteur.

UNE DÉCHARGE POUR 2 MILLIONS D’HABITANTS

Si Conakry surprend par son insalubrité, la capitale guinéenne surprend encore plus par la localisation et les caractéristiques de sa décharge. Situé dans le quartier Hamdallaye, secteur Combos, elle est située en pleine capitale à proximité d’un domaine militaire qui abritait jadis un radar de transmission de l’armée, et qui avec la croissance démographique rapide est devenu un quartier fortement peuplé poussant certains habitants jusqu’aux portes de la décharge. C’est dans ce contexte qu’était survenu l’éboulement du mardi 22 août 2017, dont le bilan selon le SENAH (Service National d’Action Humanitaire) a été de 9 morts dont 7 mineurs, 7 blessés dont 3 femmes, 2 traumatisés, 4 bâtiments et leur contenu détruits affectant directement 5 familles de 52 sinistrés. Elle se paie même le luxe d’être sa seule décharge de la capitale et est ouverte au public 24h/24 sans aucune surveillance.

ÉCHEC DE L’URBANISATION, NOS VILLES SONT DES GROS BIDONVILLES.

Un autre problème encore irrésolu à ce jour qui a impact direct sur nos villes en matière d’hygiène publique, c’est l’urbanisme, à cause du laxisme ambiant et de l’irresponsabilité des services de l’urbanisme et des travaux publics, les quartiers et secteurs sont créés par les populations elles-mêmes avec des tracés topographiques anarchiques ne respectant aucune norme d’urbanisation moderne. Ce modèle d’urbanisation sans aucune vision du futur laisse peu de place aux infrastructures sociales de base et procède à une juxtaposition des zones commerciales, industrielles et d’habitation sans aucune démarcation de telle sorte que, toute la ville de Conakry ressemble à un marché s’étendant à perte de vue. Ces marchés mal construits et non équipés des infrastructures d’hygiène et de salubrité, sont localisés presque à chaque grand carrefour de la capitale et à proximité des grands axes de circulation. Véritables usines à ordures, ces marchés déversent leurs ordures auxquelles s’ajoutent celles des quartiers environnants, dans les caniveaux longeant la route et souvent directement sur la chaussée comme c’est le cas à Entag, Camp carrefour, Wanindara rails ou encore au marché de Sonfonia. Ce vice urbanistique est aggravé par l’incivisme et l’incapacité des autorités locales à d’abord éviter l’accumulation de ces ordures par une évacuation rapide et régulière, et ensuite à sanctionner les citoyens indélicats qui ne respectent les règles de base de la salubrité publique.

Pour juguler ce phénomène, de multiples solutions s’offrent aux autorités, nous privilégions ici deux, qui nous semble mieux adapté à nos réalités économiques et sociales. La promotion des E-Market pourrait être un atout pour organiser ces marchés en secteurs d’activité et limiter le mal de la propagation des marchés linéaires le long des nos voiries urbaines facilitant ainsi la collecte des ordures produites par ces marchés. Des expériences pilotes pourraient être tentées sur les marchés, les plus petits et les plus reculés puis élargis aux plus grands marchés comme ceux de Koloma, Matoto, Entag et Madina…

Au sein des marchés, il faudra également responsabiliser chaque boutiquier, chaque centre commercial de la collecte des ordures produites par ses occupants, limiter le phénomène d’accroissement infini de nos marchés et promouvoir la décentralisation du mouvement des capitaux et la mobilité des agents économiques. Désengorger Madina en créant des facilités (de loyer, exonération de taxes ou subventions) à ceux qui souhaitent se déployer ailleurs pour aérer le grand marché de Conakry.

LA RÉGLEMENTATION ET SON APPLICATION : AUCUNE TOLÉRANCE FACE A L’ENVAHISSEMENT DES CHAUSSÉS ET A L’URBANISATION ANARCHIQUE.

Toutes les propositions de solution faites ici seraient vaines sans un réel engagement de l’État pour changer en profondeur les choses. Et cet engagement ne peut se manifester qu’à travers l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique nationale de salubrité publique et la jonction de cette dernière avec les politiques nationales d’aménagement du territoire, d’urbanisme, des travaux publics et d’emploi des jeunes. Car, ces ministres munis de pelles et de brouettes ne peuvent pas sillonner tout le pays pour faire l’assainissement.

Il est donc, grand temps que cesse ce bal des hypocrites pour faire face au défi de la gestion administrative de l’État, pour assumer sa responsabilité publique. Tout le monde sait que ce ne sont pas les financements qui manquent, mais la volonté politique, la culture du travail bien fait, l’ambition de résultat et la décision de sortir du tout politique, car, en fin de compte, la grande question que se pose le citoyen qui cohabite avec les ordures, c’est où est passé l’ÉTAT ?

Oury Mötelly  

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