Code minier guinéen : le contenu local vidé de son contenu (enquête)

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Le nouveau code minier de la Guinée élaboré en 2011 donne un large au contenu local. Ce concept impose aux sociétés minières de faire recours aux entreprises guinéennes tant que celles-ci peuvent rendre une prestation dans leurs domaines de compétences. Malheureusement, ce texte est mis à mal dans la région minière de Boké et cela fait des ravages.

A l’arrivée du président Alpha CONDE au pouvoir, il a mis en place une commission ad-hoc pour toiletter l’ancien code minier qui serait selon lui assez complaisant vis-à-vis des entreprises minières et ne protègerait pas les intérêts des Guinéens. Les travaux de la commission débouchent sur l’adoption d’un nouveau code minier adopté par le CNT le 9 septembre 2011.

Parmi les mesures phares du nouveau instrument juridique figure entre autres la participation gratuite de l’Etat dans les entreprises minières à hauteur de 15%, la rétrocession à l’Etat des infrastructures minières après 25 ans d’exploitation et le renforcement du contenu local qui existait déjà dans l’ancien code. Il est également mis en place une politique de promotion du contenu local.

Ce fut une des reformes phares de l’actuel régime et le président de la République. Pour lui, c’était une révolution. Du jamais vu. Le nouveau code a ses points forts et ses points faibles.

L’article sur le contenu local impose alors aux miniers d’utiliser les prestations d’entreprises locales tant que cela est possible. On entend par politique de promotion de contenu local l’ensemble des politiques, mesures et opérations qui concurrent au renforcement des capacités des ressources humaines, entrepreneuriales et matérielles locales, au développement du transfert de technologies, à l’utilisation des compétences, biens et services locaux et la création des valeurs additionnelles mesurables à l’économie locale.

L’exploitation minière qui requiert une technologie de pointe et des moyens colossaux n’est pas à la portée des entreprises locales dont la plupart croulent dans un environnement économique difficile et morose. Les plus chanceuses attendent d’être payées par l’Etat après des prestations faites pour ce dernier depuis des années. Cependant, de nombreuses entités privées peuvent fournir des services d’appui aux multinationales qui forent le sous-sol. Du placement du personnel à la fourniture du carburant, en passant par la restauration, le transport ou la sécurité,  des entreprises guinéennes tirent bien que mal leur épingle du jeu dans le boom minier que connait leur pays depuis quelques années.

En économie, on appelle cela l’effet d’entrainement ou la création de richesses.  D’autres font dans le transport notamment le transport de minerais. Avant d’entrer dans le vif du sujet, un petit rappel s’impose sur les raisons du transport de minerais comme il se passe aujourd’hui.

Normalement, les minerais qu’ils soient de fer ou de charbon ou de bauxite sont transportés dans des trains conçus spécialement dans ce sens. En Guinée, il en a été ainsi depuis les débuts de l’exploitation minière. Ainsi des chemins de fer ont été construits entre les sites d’exploitation et les usines d’une part et entre les sites d’exploitation et les ports d’autre part.

Le train minéralier de la CBG en chargement dans la mine de Sangarédi, photo guineeactuelle

La CBG a ainsi fait 125 km de rails entre la mine ouverte de Sangarédi ou le port de Kamsar. Les français ont construit la ligne Fria-Conakry pour le transport de l’alumine, du mazout et d’autres lubrifiants qui débarquent au port de Conakry.

La Compagnie des Bauxites de Kindia de RUSAL exploitent le chemin de fer entre la mine de Débélé à 25 km de Kindia et le port minier qui fait aussi partie du port autonome de Conakry. Ces lignes ont constituée depuis fort longtemps le petit réseau de chemins de fer que compte le pays après le démantèlement des rails de Conakry-Kankan.

Le tournant fut donc pris en 2013 lorsque Global Alumina Corporation a décidé d’exporter quelques milliers de tonnes de bauxite en utilisant des camions robustes adaptés à cet effet. Ce  transport de  bauxite par voie routière s’inscrivait dans le cadre du projet MBS (Marketing Bauxite Sample), c’est-à-dire le marketing d’échantillon de bauxite vers les Emirats Arabes Unis.

Le train de GAC sur le site de Tinguilinta à 35 km de Boké (Image GAC)

Dans la convention entre lui et GAC, l’Etat s’était alors engagé à construire 17 km de contournante afin que les poids lourds qui chargent à Tinguilinta ne traversent pas la ville de Boké. Cette contournante n’a jamais été construite et ces gros camions chargés de plus de 50 tonnes de terre rouge traversaient la commune urbaine de Boké à vive allure avec des conséquences dramatiques. Cependant, dès qu’ils atteignent les 290 000 tonnes de bauxite prévu pour cette phase, GAC arrête de transporter la bauxite dans des camions. Mais le mal était déjà fait. D’autres entreprises plus pressées vont s’engouffrer dans cette brèche et transporter des minerais de bauxite dans des camions de tout type.

En 2014, le camion benne est le roi des mines en Guinée.  Des marques françaises, suédoises, allemandes et surtout les camions chinois Howo ou Sitrak dévalent des kilomètres entre les sites d’exploitation de Dapilon ou de Malapouya ou autres , et les ports fluviaux ont un rythme effréné de H24. A l’odyssée du camion benne, des particuliers se lancent dans ce nouveau business florissant et poussiéreux. Des centaines de poids lourds prennent la direction de la préfecture de Boké à la quête de contrats de transports de bauxite.

Un camion de la marque chinoise Howo appartenant à la SMB, photo guineeactuelle.com

Des intermédiaires sortis de nulle part s’invitent dans la danse et veulent gagner leur pain sur ce nouveau marché. Leurs clients : la Société Minière de Boké, Alufer Mining, Chalco, AMR, DTP Mining et leurs nombreux sous-traitants. Le tonnage est payé à 33 000 GNF en moyenne mais il existe une légère différence entre les compagnies. Et un camion pouvait faire 10 voyages par jour. Jusque-là tout va bien, les propriétaires de camion s’arrangent tant que bien que mal à insérer leurs engins dans le flux de la circulation bauxitique, les intermédiaires perçoivent leur pourcentage et tout le monde est content.

Les grosses pontes du régime s’intéressent alors au secteur. Avec les moyens colossaux mis à leur disposition pour exécuter des projets d’intérêt public et qu’ils détournent, ils achètent à leur tour des camions neufs sortis d’usine et les insèrent dans la circulation déjà  saturée de la région Boké. C’est la galère pour les propriétaires ordinaires et lambda qui voient leurs contrats résiliés sans aucune forme de procès. Parfois sans préavis. Les camions des sommités de la gouvernance actuelle remplacent progressivement ceux des particuliers dont certains vivent essentiellement des revenus générés par la location de leurs engins. L’argument phare des sociétés minières pour résilier les contrats est basé sur la vétusté des engins des particuliers alors qu’ils ont travaillé avec ces camions durant des mois voire des années dans ce même état de vétusté. Après comparaison, il n’y a bien sûr pas photo entre une Volvo sortie d’usine et une Kia Motors de N’fa Moussa qui a déjà 400.000 km à son compteur, un moteur vieux et des pneus usés.

Ali Fanta CAMARA près de son camion dont le contrat de prestation été résilié, photo guineeactuelle.com

Ce fut le cas d’Ali Fanta CAMARA, citoyen résidant à Kagbélen dans la préfecture de Dubreka. Son engin, un camion benne de marque française Renault a été refoulé à Boké depuis le mois de janvier 2019. Garé dans une cour avec d’autres camions dans la même situation, cet engin ne rapporte rien à son propriétaire qui a déboursé la bagatelle de 300.000.000 de francs guinéens pour  l’acquérir. Selon lui, la technique utilisée par les grosses pontes du pouvoir est le suivant : ils achètent des camions neufs et mettent de la pression sur les entreprises minières afin que celles-ci les intègrent dans leur propre parc automobile. Conséquence, les compagnies ont trop de véhicules et finissement par résilier le contrat des particuliers qui n’ont aucun appui ni aucune recommandation.

Mais bien avant la résiliation de leur contrat, les camionneurs subissent une autre forme d’injustice. Comme évoquée ci-haut, de sulfureux intermédiaires s’infiltrent toujours entre les sociétés et les propriétaires de camions.  Ces derniers perçoivent une commission allant de 10% à 20% du montant global. Mais les choses ne se passent pas toujours comme prévu.

D’après M. Ali Fanta CAMARA, les intermédiaires ne paient pas entièrement les montants dus aux camionneurs. Tandis que les entreprises s’acquittent entièrement des montants destinés à leurs fournisseurs, les intermédiaires appliquent encore des ponctions sur cet argent en plus de leur pourcentage. Parfois ils tardent à le verser.

Le camion d’Ali Fanta était géré par un Bobo de l’entreprise Bobo-Transport et Commerce, intermédiaire entre monsieur Camara et un sous-traitant minier. Depuis le mois de janvier, Ali Fanta et plusieurs autres camionneurs n’ont  pas perçu un franc de la part de leur intermédiaire.

Acculé et menacé à Kolaboui où il exerce, M. Bobo s’est réfugié à Conakry où il se sent plus protégé par les barons du régime. Il ne décroche aucun appel.

Pour les besoins de la présente enquête, Ali Fanta l’a appelé avec un autre numéro que le sien. Apres avoir décroché M. Bobo ne prononcera aucun mot et laissera nos unités se volatilisés. D’après M. Camara, Bobo Transport lui doit la somme de 13 000 000 GNF. Et il n’est pas le seul dans cette situation. Plusieurs personnes attendent d’être remises dans leurs droits par Bobo Transport qui n’est qu’un des intermédiaires parmi des centaines qui tuent à petit feu l’avenir de centaines familles.

Logo de l’intermédiaire Bobo sur le camion d’Ali Fanta CAMARA, photo guineeactuelle.com

C’est ainsi que des dizaines de camions se sont retrouvés à Conakry et Dubreka.

A Kagbélen dans la zone industrielle, on les retrouve disséminés entre les concessions et d’autres à côté du l’usine Diamont Ciment. Le fardeau est d’autant plus que les chauffeurs et leurs employeurs venus tous de Boké ont du mal à s’insérer dans le transport de sable. Un autre business très florissant qui consiste à transporter du sable des mines de sable à Tanènè aux différents chantiers de constructions via la plateforme de Kagbélen. Le syndicat des transporteurs de sable ne veulent pas sentir les déçus de Boké et font tout pour les empêcher de s’inscrire dans leur mutuelle. Ainsi va la vie des anciens camionneurs de Boké. L’histoire d’Ali Fanta CAMARA n’est qu’un échantillon sur des centaines d’autres bloqués à Kolaboui.

Pendant ce temps une clique se tape des millions de dollars par mois au vu et à la barbe de la justice.

Le contenu local est mis à mal. Et si rien n’est fait, d’autres secteurs d’activités réservés uniquement aux nationaux reviendront à des intérêts étrangers par la complicité d’autres guinéens. L’exploitation minière dessert plus la Guinée qu’elle ne serve.

La question que l’on se pose aujourd’hui est de savoir si l’Etat va-t-il continuer à autoriser le transport de minerais dans des camions parfois inappropriés ?

Des compagnies minières responsables comme la CBG, GAC ou encore la COBAD (RUSAL) qui exploite les plateaux de Dian Dian utilisent des locomotives spéciaux pour le transport de la bauxite, avec à l’appui des caisses de l’Etat renflouées puisque les infrastructures minières (voies ferrées, installations portuaires et autres) sont dans le portefeuille de l’Etat via l’ANAIM, même cela a moins d’impact sur l’environnement.

Alpha Oumar DIALLO

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