Affaire nanfo: “il vaut mieux avoir affaire à allah qu’à ses saints”

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Il est amusant et compréhensible de voir comment est-ce que les récentes actions de Nanfo, qui, indépendamment de son éducation sociale et religieuse, a adopté une approche audacieuse pour interroger les pratiques qui avaient valeurs de Vérité dans cette société. Il soulève l’un des problèmes contemporains affectant la société guinéenne en ce qui concerne la place de nos cultures et de nos identités dans la pratique de la foi.

Aussi ésotérique que ses actions puissent paraître pour certains, sa démarche appelle plutôt à débattre que de s’excommunier ou de se jeter les anathèmes.

Nanfo est un homme qui pense sa religion et sa culture. Il lie à sa façon les deux mondes, il ne veut pas être arabisant car il est fier de sa langue et de sa culture. Il se veut libre en accord  avec son identité et sa croyance. La situation dans laquelle il se trouve révèle le degré d’aliénation et d’assujettissement volontaire que ce peuple fait preuve depuis des siècles, et sans critiques aucunes,  à l’égard de la culture arabo-musulmane, l’islam avec.

Je m’explique!

Qui est Nanfo? Je ne connais pas sa personne, je ne connais de lui que ses idées et elles suffisent largement pour connaître l’Homme. Nanfo est un homme enraciné, affranchi, fidèle à son identité et à ses valeurs ancestrales et fidèle à son créateur avec raison, les pieds sur terre. C’est un homme de raison, qui ne se contente pas seulement et uniquement d’obéir. Et, il a raison.

Que lui reproche-t-on? On lui reproche d’aimer sa langue, son identité, sa culture.

Nanfo pour s’adresser à son créateur prie en malinké, sa langue chérie, langue maternelle, langue de ses ancêtres, langue de son pays, langue d’Allah, langue d’amour, langue pure, langue complète, chère langue! Je ne sais en quoi cette démarche, cette pratique devrait-elle causer problème dans une société qui  ne cesse de revendiquer sa culture et son identité depuis des années. Sauf si cette revendication de l’identité ne s’opère uniquement et seulement qu’à l’égard du monde occidental. Un fidèle chrétien qui aurait prié dans sa langue aurait été salué par tout le monde. On aurait trouvé noble et salutaire cette façon de revendiquer son identité.

Les autorités guinéennes le privent de son droit d’affirmer son identité, sous prétexte que la prière se fait uniquement, et seulement qu’en la langue arabe, c’est ce que dit le Coran. L’arabe, la seule langue d’Allah (sic), langue du purgatoire (sic), de l’au-delà (sic); langue sainte (sic)!…

Mais c’est qui ce créateur qui ne comprend pas la langue de ses créatures ? C’est qui ce créateur qui exige, impose, ordonne une langue, une seule  à ses créatures pour s’adresser à lui? Cette langue est-elle meilleure que les autres qu’il aurait créées ? Si tel est le cas alors peut-on dire qu’il est parfait dans sa création? Car de fait s’il y a des langues plus parfaites que d’autres, cette imperfection ne peut être incombée qu’à son créateur. Allah est parfait pour ceux qui ont la foi, tout ce qu’il fait l’est de même. Alors si tel est le cas pourquoi et au nom de quoi Nanfo ne devrait-il pas pratiquer sa langue pour prier? Et pendant qu’on y est si Allah tenait autant que ça qu’on s’adresse à lui en Arabe pendant la prière pourquoi ne l’aurait-il pas fait la seule langue pour toute l’humanité?

Avant, on avait des colonisateurs qui nous imposaient de prier, de penser et de faire comme eux, maintenant on a nos frères, sœurs ou compatriotes qui nous forcent à penser et faire comme les colonisateurs. J’entends par colonisateurs, toutes personnes, civilisations, sociétés qui vont, au-delà de leurs frontières, imposer leur façon de vivre, de faire et de croyance, à d’autres personnes, sociétés, ou civilisations. Quoique le degré de violence physique, psychique, culturel, moral soit différent d’un colon à l’autre.

Je ne compte pas ici revenir sur le fait qu’aucune loi en Guinée, pays laïc au demeurant, n’impose à Nanfo de prier en Arabe. Et même en admettant hypothétiquement que la Guinée soit un pays islamique (soyons fous!); il n’aura aucune loi ni aucun principe du Coran qui permettra aux autorités d’imposer à Nanfo de faire sa prière à lui en Arabe.

En Guinée, la seule chose que les autorités pourront faire, c’est de l’interdire de digérer la prière dans les mosquées qui relèvent de leurs juridictions. Guère plus, guère moins. Le reste, c’est entre lui et son créateur. Il prie en malinké, qui l’aime, le suit!

Nanfo refuse la soumission aveugle et revendique sa liberté. Il est dans une démarche philosophique. Sans doute le peuple, le suivra. Pour le moment, il fait face à des autorités, qui, au nom de la paix et de l’amour font recours à la violence.  Les autorités lui refusent le droit de prier dans sa langue et sont prêtes à mettre sa vie en péril au nom de la religion, d’amour, de paix et de la tolérance. Ces autorités religieuses qui d’ailleurs ne sont que les représentantes de l’Arabie Saoudite sur le territoire guinéen, ne pensent pas pour la Guinée, on la pense à leur place; elles ne décident pas pour la Guinée, les fatwas vous sont servies depuis l’Arabie Saoudite. Qu’a-t-elles pu faire pour résoudre le conflit interconfessionnel qui a fait des morts à Touba en 2015?

Avec Nanfo, qui n’est ni soumis à l’Orient encore moins à l’Occident, ces autorités se sentent menacées de voir leur pouvoir s’ébranler face à des questions qui s’imposeront quand le peuple aura un accès direct et facile à ces textes, ils ont peur qu’on découvre leur incompétence dans ce domaine, ils ont peur qu’on découvre qu’il y a anguille sous la roche. Nanfo ne peut être le décrédibiliser sous prétexte qu’il sert la cause de l’Occident, c’est un  homme authentique.

Ce qui les gêne chez Nanfo, c’est qu’il les appelle à réfléchir, à débattre, à échanger, à la confrontation d’idées, ce qui est déjà trop demandé pour les esprits lobotomisés. Nanfo prie en malinké, il ne remet en cause la foi d’aucun autre croyant, et péché s’il y en a n’engagera que sa personne. Nul et personne ne fera face de ses actes devant son créateur. Alors pourquoi diable, voulez-vous lui forcer à penser et faire comme vous? Comme le disait l’autre  » Celui qui utilise la force pour imposer la vérité a un autre but que la vérité ». Vous êtes sûr de la véracité de votre message, vous êtes sûr de votre foi? Alors laissez cours aux échanges et non à la violence ou à l’interdiction.

Pour le moment, aucun avocat du pays ne se sent prêt à défendre la cause d’un homme qui n’a commis aucun crime ni délit ni infraction, mais qui se trouve privé de sa liberté.

La société dans tout ça!

Cette affaire est révélatrice du degré d’affiliation de ce peuple aux civilisations qui les sont extérieures, d’origines. Elle relève l’existence de deux mondes où chacun choisit et défend son maître à penser, les uns, l’Occident et les autres, l’Orient, c’est-à-dire le monde arabo-musulman et l’islam.

 Ceux qui apportent leur soutien sont catalogués comme les “sbires de l’Occident”, les “vendus”, les “perdus”, les “aliénés”, les “modernes”. En même temps, ceux qui pointent du doigt ces “vendus” ou ces “aliénés”, sont eux aussi considérés comme des aliénés, des serviteurs aveugles du monde arabo-musulman. Chacun son maître, chacun son aliéné. Les uns et les autres ne défendent de la culture que les pratiques qui siéent aux valeurs de ces deux mondes.

La différence qui me semble fondamentale entre ces deux mondes est que les premiers se sont réveillés et n’hésitent pas de contester les valeurs occidentales qui influent leur vie de tous les jours. De même en reconnaissant la justesse d’une cause pour leur société, ils ne nient pas l’influence de l’occident. D’ailleurs, ils sont les premiers à se lever pour se liguer contre l’acceptation totale et aveugle de tout ce qui vient de l’occident. Ils ont été les révolutionnaires des années d’indépendances dans beaucoup de sociétés. Ils le sont aujourd’hui et appellent à ne pas faire la confusion entre la modernisation et l’occidentalisation. Ce sont eux, qui mènent des combats sans cesse pour que l’occident fasse face à ses responsabilités du passé. Ce sont eux qui se battent aujourd’hui car ayant compris qu’il y a des principes aussi importants que la Culture, pour le respect de l’être humain et sa dignité; pour le respect de la liberté, liberté pour les uns de croire ou de ne pas croire, liberté de pratiquer sa religion comme bon lui semble; pour le respect de la justice, de la justesse, et aussi et surtout l’égalité.

Quid des seconds?  Les seconds, comparativement aux premiers, sont assujettis volontairement (sans jugement de valeur) et sont prêts à sacrifier leur vie pour défendre une culture et une civilisation qui n’est pas la sienne contre la sienne. Les seconds sont ceux qui tolèrent et épousent tout ce qui vient de l’Orient. Quand il s’agit de défendre les valeurs culturelles du pays, ils ne le font qu’à l’aune de ce monde (comme les premiers) et du Coran quitte à aller à l’encontre de la dignité humaine, de la liberté de la justice, de la justesse, de l’égalité (à la différence des premiers). Toutes les questions qui ont un rapport avec l’islam, la culture arabo-musulman sont interdites de discussion par les défenseurs de ce monde: On doit avaler la sauce sans la goûter. Vu que c’est écrit dans le Coran, c’est forcément et ça ne peut être que vrai. Tu dois et tu vas obéir à ces principes, sinon au nom de l’amour et de la paix de ma religion chérie, je vais te faire connaître toutes les misères du monde mon frère, ma sœur; je serai même capable de te prendre la vie  au nom de cet amour.

Il serait temps que ces deux mondes s’assoient autour d’une table pour discuter. Encore faudrait-il qu’ils soient tous ouverts à des discussions de tout ordre, sans restriction aucune en amont, pas de sujet et de cause tabou. De toute façon, la révolution culturelle aura lieu avec ou sans vous. On ira et on interrogera toutes ses valeurs d’où qu’elles viennent. On ne s’abstiendra guère de poser et de reposer des questions à Allah, à ses saints et à ses fidèles. On demandera le pourquoi, du comment, on veut et on exige des réponses satisfaisantes, on ne se contentera guère des réponses du genre “il faut avoir la foi”.

En attendant, Nanfo, mouyé fola. Ima koun, é kelenté. La prospérité te retiendra!

ASAS, Yigui

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