Accord politique mouvance – opposition : « un accord qui confisque les choix des citoyens guinéens à l’élection communale du 04 février »

Publicité

T ard la nuit du 08 août 2018 au siège de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), sous l’auspice du ministre de l’administration et du Territoire le général Boureima Condé, l’opposition représentée par Elhadj Cellou Dallein Diallo (président de l’UFDG) et la mouvance présidentielle représentée par l’honorable Amadou Damaro Camara (président du groupe parlementaire RPG-Arc-en-ciel), ont trouvé un accord autour du contentieux électoral résultant du scrutin du 04 février 2018 et les points contenus dans les accords politiques du 12 août 2016. En effet, malgré toutes les polémiques que ces accords politiques ont suscités au sein de l’opinion publique, son ombre continue de planer sur le pays, tout en favorisant la violation systématique des lois au grand dam des populations, qui sont prises au piège par une oligarchie politique essentiellement constituée des deux partis politiques majoritaires à l’Assemblée nationale. Il faut rappeler que ces accords politiques qui portent essentiellement sur : la réforme de la CENI, l’indemnisation des victimes des événements de 2012 et 2013, la libération des détenus politiques, la suppression de l’élection des Conseils de quartier et de district qui désormais seront désignés au prorata des résultats des élections communales en son point 2. Malgré les multiples dénonciations de ces accords par certains acteurs politiques et ceux de la société civile qui ont lancé une plateforme dénommée « Le Front national pour la Défense des Droits des Citoyens ».

En effet, un scrutin local à qui les leaders des partis politiques ont donné un enjeu présidentiel, a eu lieu le 04 février 2018 après plusieurs années de tractations. En effet, un scrutin local à qui les leaders des partis politiques ont donné un enjeu présidentiel, a eu lieu le 04 février 2018 après plusieurs années de tractations. Mais, qui a été contesté le soir même de sa tenue par l’opposition qui estime qu’il a été émaillé des fraudes très graves, et par la même occasion dénoncer l’immixtion des cadres de l’administration publique dans le scrutin, mais aussi regretté l’indélicatesse des magistrats dans la validation des procès-verbaux en tant que présidents de Commissions Administratives de Centralisation (CACV) et dans le traitement du contentieux électoral au niveau de leurs juridictions respectives.

Constatant la volonté affichée du Parti au pouvoir et le gouvernement de vouloir à tout prix voler les voix qu’ils ont obtenues en complicité avec certains fonctionnaires et magistrats, aux dires de l’opposition qui s’est butée aux arguments selon lesquels le contentieux électoral a été vidé, donc aucun recours n’est plus possible, et par la même occasion demande à la Commission Nationale Indépendante (CENI) de publier les résultats validés par les CACV. Elle a menacé de renouer avec les manifestations de rue, sachant que c’est la seule façon de faire fléchir le gouvernement. D’ailleurs, c’est suite à ses menaces que le président de la République a ordonné à la CENI qui, en principe est une institution indépendante, à recevoir l’opposition et la mouvance présidentielle pour réexaminer leurs revendications, alors que celles-ci ont été déjà traitées par les tribunaux. Il a également, instruit le ministre de l’administration du territoire de réactiver le Comité de suivi des accords du 12 août 2016, afin d’ouvrir les négociations avec l’opposition.

C’est pourquoi, à la lumière de la législation nationale, nous allons procéder à une analyse au cas par cas des questions que soulèvent ces accords qui font couler beaucoup d’encre et de salive au sein de l’opinion publique, afin d’évaluer leur impact sur la vie de la nation guinéenne.

Tout d’abord, il faut mentionner que l’article 26 de la constitution dispose : « quiconque occupe un emploi public ou exerce une fonction publique est comptable de son activité, et doit respecter la neutralité du service public. Il ne doit user de ses fonctions à des fins autres que l’intérêt de tous », mais il est regrettable de constater que des hauts fonctionnaires de l’État occupant le poste de ministre, de directeur national, de gouverneur, de préfet, des hauts gradés de l’armée et autres postes stratégiques, tout en usant de façon flagrante des moyens matériels et financiers de l’État, se sont immiscés dans le déroulement du scrutin lors des élections présidentielles, législatives et communales pour influencer les résultats en faveur du Parti au pouvoir par des menaces, intimidations voire même des violences et arrestations arbitraires des représentants et militants de l’opposition. Cette pratique, qui a toujours caractérisé l’administration publique guinéenne, est considérée par ces cadres comme étant une forme de ‘’ loyauté ‘’ vis-à-vis du président de la République et de son parti politique qui ont placé leur confiance en eux. Alors que cela constitue une violation grave de la Constitution et du Code Pénal, d’ailleurs, elle est qualifiée de ‘’ détournement des biens et deniers publics, et d’abus d’autorité ‘’ qui, normalement doit aboutir à la condamnation de tout fonctionnaire passible de tels actes conformément à la loi pénale.

S’agissant du rôle des magistrats dans la conduite du processus électoral, il consiste à présider les CACV et à vider le contentieux résultant du scrutin. Pour le cas spécifique du contentieux communal, l’article 122 du Code électoral dispose : « le contentieux qui peut naître à l’occasion des élections communales est soumis au Tribunal de Première Instance ou à la Justice de Paix du ressort qui statue dans les trois (3) jours à compter de l’expiration du délai de quarante-huit (48) heures fixé à l’article précédent ».


Le jugement du Tribunal de Première Instance ou de la Justice de Paix, qui n’est susceptible d’aucun recours, est notifié aux parties intéressées et transmis au Président de la CENI.
En cas de rejet des contestations, le Président de la CENI proclame les résultats définitifs.
En cas d’annulation, une nouvelle élection est organisée dans les soixante (60) jours qui suivent cette décision ».

Mais, s’il est avéré qu’un magistrat est pris fait et cause pour une partie dans le traitement du contentieux électoral porté devant lui, il aura violé l’article 32 de la loi organique portant Statut du Magistrat qui dispose : « Les Magistrats doivent rendre impartialement la Justice, sans considération de personnes, ni d’intérêts… », ce qui peut engager sa responsabilité conformément à l’article 35 qui dispose : « Tout manquement par un Magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité de la profession, constitue une faute disciplinaire ».  Dans ce cas, la partie victime de l’indélicatesse du magistrat peut en vertu de l’article 38 de la même loi, saisir le ministre de la Justice, Garde des Sceaux d’une plainte ou si ce dernier est informé d’un fait de nature à entraîner une sanction disciplinaire contre un magistrat, après vérification, il met en mouvement l’action disciplinaire en saisissant le Conseil Supérieur de la Magistrature, afin que ce magistrat, si les faits qui lui sont reprochés sont avérés, soit sanctionné conformément à l’article 36 de la même loi. Cette sanction peut être soit :

– L’avertissement ;

– Le blâme ;

– Le déplacement d’office ;

– La suspension avec ou sans perte de traitement ;

– Le retrait de certaines fonctions ;

– La radiation du tableau d’avancement ;

– L’abaissement d’un ou de plusieurs échelons ;

– La rétrogradation ;

– La mise à la retraite d’office avec ou sans perte de droit à pension ;

– La révocation.

Ces sanctions sont prises selon la gravité de l’acte commis. Par conséquent, le jugement qu’il a rendu dans cette affaire est nul et de nul effet, celle-ci doit être réexaminée car n’ayant pas acquis le ‘’caractère de l’autorité de la chose jugée’’.

Mais, au lieu de suivre cette procédure, l’opposition a plutôt préféré porter ses réclamations devant la CENI, puis devant le Comité de suivi des accords du 12 août 2016.

Cette attitude de l’opposition nous amène à nous poser la question de savoir, si la CENI dispose d’une compétence contentieuse en matière électorale ?

Selon l’article 132 de la Constitution, la CENI est chargée de l’établissement et de la mise à jour du fichier électoral, de l’organisation, du déroulement et de la supervision des opérations de vote. Elle en proclame les résultats provisoires, lorsqu’il s’agit de l’élection nationale et définitive lorsqu’il s’agit des élections locales. L’article 2 du Code électoral renchérit, en stipulant que la CENI est chargée d’organiser toutes les élections politiques et du referendum en Guinée. Donc, au regard de ce qui précédent, il ne ressort nulle part que la CENI dispose d’une compétence contentieuse pour réexaminer une décision déjà tranchée par les Tribunaux de Première Instance. Son rôle se limite à l’organisation du scrutin et à la publication des résultats.

Alors, est-ce que les accords politiques issus d’un Comité de suivi règlent le contentieux électoral en Guinée ?

Il faut rappeler que le Comité de suivi est un cadre de dialogue politique qui résulte du contentieux né autour des questions essentiellement politiques, notamment sur le processus électoral. Ce cadre, qui est une forme d’improvisation dans la gouvernance des affaires d’un État, est devenu la seule façon de satisfaire les revendications économiques, politiques et sociales en Guinée. La décision qui résulte du Comité de suivi est qualifiée de « consensus » qui ne doit intervenir en principe, que là où la loi n’a pas réglementé. Mais il est regrettable de constater que depuis 2010, « le pays est gouverné par consensus » malgré l’existence des lois, ce qui entraîne de facto la violation systématique de celles-ci par le gouvernement et les acteurs politiques, en invoquant la nécessité de maintenir la paix dans le pays.

Mais, il y a lieu de se demander si l’accord politique du 08 août 2018 issus du Comité de suivi qui porte essentiellement sur le partage des circonscriptions électorales faisant objet de contentieux est conforme à la loi et en quoi il favorise la paix dans le pays ?

L’article 2 de la constitution dispose : « le suffrage est universel, direct, égal et secret. Dans les conditions déterminées par la loi, sont électeurs tous les citoyens guinéens majeurs de l’une ou de l’autre sexe, jouissant de leurs droits civils et politiques… ». Du fait du « caractère direct du suffrageʺ en Guinée, la loi interdit à un parti politique ou à un gouvernement d’attribuer le vote d’un citoyen fut-il son militant, à un autre candidat autre que celui pour lequel ce dernier a voté, par ce que le vote est intitue personae, c’est-à-dire l’électeur choisit la personne du candidat, non le parti politique qui l’a présenté. Exemple, lorsque le président de la République, un député ou un conseiller communal est définitivement empêché, on organise des nouvelles élections pour le premier et on choisit son suppléant qui a été élu dans les mêmes conditions que lui pour les 2 derniers, son Parti politique ne doit pas faire autrement, sinon il tombe dans l’illégalité. Donc, l’opposition et le RPG-Arc-en-ciel ne devraient pas se targuer de leur position dominante pour se substituer aux électeurs en se partageant par consensus les circonscriptions communales sans tenir compte du choix des électeurs, cela constitue une ‘’ confiscation du choix des citoyens ‘’.

Pour finir, tout en insistant sur le caractère local des élections communales, bien qu’on leur ait donné un enjeu présidentiel, ce scrutin est institué pour permettre au citoyen soit de participer directement ou de désigner d’autres citoyens capable de booster le développement à la base, car le pouvoir central ne peut pas tout faire dans un pays, et non pour des questions de positionnement politique. C’est en cela d’ailleurs, qu’elles sont ouvertes à des candidats indépendants. Donc, tous les électeurs, notamment ceux des partis politiques dont les votes sont détournés par cet accord, sont en droit de les contester. En plus, contrairement à ce qu’on fait croire à l’opinion, cet accord affaiblit les institutions de l’État et obstrue la marche vers la démocratie, et ne saurait nullement être en faveur de la paix. Il marque un recul considérable à la jeune démocratie guinéenne qui peine à se mettre en place, sans oublier le gâchis financier que cela a entraîné, car s’il faut investir plus de 300 et quelques milliards de Francs guinéens pour organiser des élections et venir s’asseoir autour de la table pour se partager les circonscriptions électorales en toute méprise de la loi et du choix des électeurs, il valait mieux investir cet argent dans la construction des écoles et des hôpitaux qui manquent dans le pays.

Par :

Saikou Yaya Diallo

Juriste/Politologue – Enseignant Chercheur – Consultant – Activiste de la Société Civile.

 

Publicité